Face aux polémiques sur le rôle de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord aujourd'hui, l'historien militaire Claude Franc revient quelques années en arrière et analyse la façon dont s'est forgée l'opinion, dans les mentalités internationales, qui consiste à penser que l'Otan agirait en provocatrice sur la scène internationale. Une question un peu plus compliquée qu'il n'y paraît, qui s'est posée dès les années 1990.
L’Otan à l’est de l’Europe : quelques réflexions historiques (T 1428)
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Depuis l’agression russe de l’Ukraine le 24 février dernier, l’argument de la responsabilité partielle de l’Otan dans les causes profondes de cette crise a souvent été avancé en s’appuyant, pour les tenants de cette thèse, sur son « agressivité » et notamment le non-respect de la parole donnée par le secrétaire d’État américain de l’époque, James Baker à Gorbatchev de ne pas étendre cette organisation à l’est de l’Europe, lors des négociations relatives à la réunification allemande.
Qu’en est-il exactement ?
Disons-le tout de suite, personne n’en sait rien, il n’existe aucune archive écrite sur le sujet et Mikhaïl Gorbatchev – le seul dirigeant russe puis soviétique depuis Pierre le Grand qui n’ait agressé aucun de ses voisins, il faut le souligner (1) – s’est bien gardé d’intervenir dans le débat ; il n’a ni démenti, ni confirmé. On en est donc réduit aux seules hypothèses et, en la matière, il convient de revenir à cette période du traité dit « 4+2 », signé à Moscou en octobre 1990. Son nom de « 4+2 » associe les Quatre vainqueurs de la guerre (Union soviétique, États-Unis, Royaume-Uni et France, tous anciens occupants du Reich qui avait capitulé) ainsi que les deux anciens États allemands recréés en 1949 et qui allaient fusionner. Dans les faits, il serait d’ailleurs plus juste de dire que l’ex-République démocratique allemande (RDA) allait se faire avaler par l’ex-République fédérale d’Allemagne (RFA).
Après avoir donné le feu vert d’ouverture du Mur de Berlin à Walter Ulbricht le 9 novembre 1989, Gorbatchev était parfaitement conscient que la question allemande, par sa réunification, allait se poser à brève échéance. Mais il tenait à la maintenir découplée de la profonde réforme du système soviétique et de son glacis européen, glasnost et perestroïka dans laquelle il s’était engagé. La désintégration de l’Union soviétique, telle qu’elle s’est produite en 1991, ne rentrait pas du tout dans les vues du dirigeant du Kremlin en 1990. Il s’est simplement attaché, avec un succès réel, à mettre un terme à la compétition entre les deux blocs, occidental et soviétique, c’est-à-dire mettre un terme à la guerre froide, en rendant effective et concrète la coexistence pacifique entre ces deux ensembles. La signature avec Ronald Reagan du traité Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) – l’interdiction de ces armes, d’une portée de 500 à 5 000 kilomètres – un an avant la chute du Mur, allait dans ce sens et il comptait parachever ce projet en enterrant la question allemande par sa réunification. Pour Gorbatchev, la réunification allemande ne devait aucunement constituer le premier acte de la destruction du bloc de l’Est, mais bien au contraire, l’acte fondateur de la coexistence en bonne intelligence de deux blocs qui étaient destinés à perdurer, mais sans compétition entre eux.
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