L'Ambassadeur Bertrand Besancenot commente la récente décision des pays de l'OPEP+ de réduire leur production de pétrole. À l'heure d'une nouvelle crise énergétique et de l'inflation, des interrogations se posent sur cette décision, en plein contexte de la guerre en Ukraine et près d'un an seulement après la sortie de la pandémie de Covid-19.
À quoi jouent les pays producteurs de pétrole ? (T 1431)
(© Lesbats Stephane. Plate-forme pétrolière de N'Kossa, au large du Congo. Ifremer. https://image.ifremer.fr/data/00574/68575/) / Wikicommons
Les pays de l’OPEP+ ont décidé le 5 octobre, lors d’une réunion ministérielle à Vienne, de réduire fortement leur production de pétrole. Ils sont ainsi convenus de baisser le nombre de barils existants chaque jour de 2 millions, soit plus de 2 % du marché mondial. Le signal envoyé aux marchés a aussitôt produit son effet : dans la journée, le baril de Brent s’est hissé à 93,80 dollars, augmentant de 2 dollars.
C’est la réduction volontaire la plus importante décidée par l’OPEP+ depuis le début de la pandémie. Il convient en effet de rappeler que, à la suite du confinement du printemps 2020, le prix du baril avait connu un effondrement inédit, provoqué par la mise à l’arrêt d’une bonne partie de l’économie mondiale. Pour redresser la barre, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’OPEP+ avaient alors limité volontairement leur production, ce qui avait permis une remontée des cours parallèlement à la reprise de l’économie mondiale.
En février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une flambée des cours inégalée en dix ans ; mais depuis un pic franchi au mois d’août à 104 dollars, le baril de pétrole brut avait perdu environ 20 %. En cause essentiellement le ralentissement de l’économie chinoise et les menaces de récession en Europe, ainsi que des doutes sur l’économie américaine. Le cours du pétrole était ainsi redescendu au niveau d’avant-guerre. Cette situation a conduit les 23 pays de l’OPEP+ à réagir en prenant les mesures de réduction annoncées le 5 octobre.
Le président Biden a réagi à l’annonce du cartel de Vienne en se déclarant « déçu de la décision à courte vue de l’OPEP+ ». La Maison-Blanche a indiqué qu’elle consulterait le Congrès sur les « outils et mécanismes » qui permettraient de « réduire le contrôle » du cartel sur les prix du brut. Cette réaction des États-Unis est peu ou prou partagée par la plupart des pays consommateurs de pétrole, qui craignent un retour du baril autour de 100 dollars dans les prochaines semaines ; cela à un moment où ils se battent contre l’inflation et où le cours du dollar – monnaie utilisée pour les factures de brut – a lui-même atteint un pic.
À Washington, les observateurs considèrent par ailleurs qu’il s’agit d’un camouflet pour Joe Biden, qui était venu à Riyad demander au contraire un accroissement de la production pétrolière afin de soutenir l’économie mondiale.
La question est donc de savoir si la décision de l’OPEP+ est purement économique ou si elle a également une signification politique, reflétant la défiance persistante des autorités saoudiennes à l’égard de l’Administration Biden. Certains vont même plus loin en parlant d’un geste de Riyad envers Poutine dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Cela paraît peu cependant probable, étant donné les liens stratégiques entre les États-Unis et l’Arabie saoudite – des contrats d’armement ont été signés après la visite de Joe Biden à Riyad. Le royaume s’en tient à ce stade à une forme de « neutralité » prudente dans l’affaire ukrainienne – jouant même les médiateurs dans un échange de prisonniers – et réaffirme que la décision de l’OPEP+ est strictement liée aux préoccupations des producteurs de pétrole face aux incertitudes de l’économie mondiale.
Toutefois nombreux sont ceux à Washington qui sont persuadés que ce ne sont pas seulement les fondamentaux du marché pétrolier qui sont en cause, car la réduction décidée intervient au moment même où les États-Unis et l’Europe veulent établir un prix plafond pour le pétrole russe.
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En réalité, il semble bien que les perspectives médiocres du marché pétrolier soient bien la raison principale de la décision de l’OPEP+ ; mais cela arrange Moscou de la présenter en termes géopolitiques pour montrer que la Russie n’est pas isolée. Cela permet aussi à Riyad de montrer son autonomie par rapport à Washington, en dépit des pressions fortes de l’Administration Biden. Il y a donc une part de théâtre d’ombres dans cette affaire, d’autant plus que plusieurs membres de l’OPEP+ produisent en deçà de leurs quotas et qu’en fait, la réduction annoncée est plutôt d’environ 1 million de barils par jour. Cela relativise donc les mesures prises à Vienne, bien que leur impact politico-médiatique soit grand. ♦