Entre monde occidental et Russie, les États du Golfe entretiennent des relations ambiguës avec leurs alliés. Si des intérêts économiques sont souvent communs avec l'Occident, les pays du Golfe cherchent à entretenir leur agenda en ce qui concerne les valeurs et le respect des droits fondamentaux : sont-ils nos alliés ou des compagnons de route des régimes autoritaires ?
Valeurs occidentales contre « illibéralisme » : les États du Golfe sont-ils nos alliés ou des compagnons de route des régimes autoritaires ? (T 1440)
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L’Arabie saoudite et les États du Golfe sont, depuis l’origine, des partenaires importants des États-Unis et de l’Europe. Pourtant, certains observateurs soulignent aujourd’hui les points communs entre leurs régimes « conservateurs » et les pays autoritaires critiques du modèle occidental (Chine, Russie, Turquie, Iran), peu soucieux des droits de l’Homme.
La guerre en Ukraine a en effet fait apparaître la « neutralité » des États du Golfe – comme de la plupart des pays en développement – face à l’agression russe, ce qui conduit certains à parler de complaisance, voire de complicité, de ces États avec les régimes dits illibéraux. Il est en fait clair que la campagne des régimes autoritaires contre les valeurs occidentales vise à convaincre les pays du Sud de la supériorité de leur contre-modèle pour assurer leur développement.
Les arguments utilisés sont ceux du « double standard » des pays de l’Ouest – qui hélas a une part de vérité – et de leur ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, sous prétexte de respect des droits de l’Homme. Cette dernière critique trouve un écho certain en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe, où les pressions, notamment américaines, en faveur de réformes démocratiques n’ont pas laissé de bons souvenirs. Dans le Golfe, on n’a pas oublié que l’incitation de Washington au Chah d’Iran à moderniser son pays a débouché sur la révolution islamique et que, plus récemment, l’invasion américaine de l’Irak a bouleversé les équilibres régionaux au profit de l’Iran.
Il est donc exact que les capitales du Golfe sont allergiques aux pressions extérieures en faveur d’une libéralisation de leur système politique et donc sensibles à l’argument de non-ingérence dans les affaires intérieures invoqué par les régimes illibéraux.
Il reste que ces pays sont plus convaincus par le modèle singapourien que par celui de Pékin ou de Moscou. En effet, Singapour symbolise à leurs yeux le succès économique reposant sur le recours aux technologies de pointe et sur un régime politique efficace, ce qui correspond assez bien à l’aspiration des gouvernements du Golfe.
Ces pays entendent réussir leur intégration dans la mondialisation par des réformes de leur système politico-économique, mais à leur rythme et selon leurs modalités propres, c’est-à-dire en respectant les traditions sociales et religieuses de leur région. Concrètement, ils diversifient leurs économies et leurs partenariats afin de jouer leurs cartes au mieux de leurs intérêts nationaux. La coopération pétrolière saoudo-russe au sein de l’Opep+ et le développement considérable des relations économiques avec la Chine en sont des exemples clairs.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il y aurait désormais une convergence, voire une alliance, entre les monarchies du Golfe et les régimes illibéraux. Les États du Golfe conservent en effet une relation privilégiée avec les États-Unis et l’Europe, qui demeurent pour eux des références importantes. Ces pays ne cherchent donc pas – contrairement à l’Iran – à s’aligner sur l’axe Pékin-Moscou et leur partenariat avec les pays occidentaux n’est pas remis en cause. Simplement ils veulent profiter des opportunités économiques et technologiques offertes par certains pays émergents ; et sur le plan politique, ils ont appris à négocier avec les pays occidentaux en faisant valoir leurs intérêts propres.
La coopération étroite que la France entend développer avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe doit donc prendre en compte cette nouvelle réalité. ♦