Alors que des débats apparaissent sur la nécessité d'une nouvelle architecture de sécurité en Europe à l'aune de la guerre en Ukraine, il s'agit, pour l'auteur, de s'interroger sur la nature même de cette nouvelle architeture. Si le 24 février 2022 a sorti l'Europe d'une architecture de sécurité héritée de la guerre froide, les puissances européennes doivent imaginer un nouveau modus vivendi, décrit ici par Stéphane Audrand.
Architecture de sécurité ou modus vivendi ? Pour une prise en compte lucide des changements politiques dans l’espace euro-atlantique (T 1466)
(© elif / Adobe Stock)
Alors que les combats continuent en Ukraine et qu’aucune issue rapide au conflit ne semble en vue, la question d’une « nouvelle architecture de sécurité » revient régulièrement dans le débat public, avec des idées telles que la « Communauté politique européenne » (CPE), nouvel avatar d’un projet mitterrandien assez ancien. L’architecture de sécurité européenne, issue de la fin de la guerre froide, qui peut être définie comme « un ensemble normatif et institutionnel surplombant un système plus ou moins stable de sécurité » (1), semble bien mal en point. Une refondation, pendant ou à l’issue du conflit en cours – qui n’est que le point final d’une dégradation lente, mais continue, des traités et cadres communs de dialogue entre l’espace euro-atlantique et la Russie depuis, au moins, 2008 – est inéluctable.
En préalable à la reconstruction d’une telle architecture, il faut sans doute se demander « pour qui » ? Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avons tendance à être focalisés sur cette dernière, sur son évolution récente et future, sur ce qu’il convient de faire vis-à-vis de Moscou. Nous sommes beaucoup moins empressés à nous demander ce que nous-mêmes, Européens, sommes devenus et quel est notre besoin en matière d’architecture de sécurité. Or, l’espace euro-atlantique a considérablement changé depuis la mise en place de la précédente architecture, à la fin de la guerre froide, et on peine à admettre l’importance de ce changement. Deux réalités nouvelles s’en dégagent : le « triomphe hégémonique » de l’Otan et de l’Union européenne (UE), d’une part, et la nouvelle répartition des « pourvoyeurs de sécurité », qui penche vers l’est et notamment vers la Pologne, d’autre part.
Cette précédente architecture, qui devait permettre à deux camps de cohabiter sans s’apprécier, bien qu’amorcée en 1975 avec l’Acte final d’Helsinki, fut parachevée au moment crucial du déclin et de l’effondrement soviétiques. Il faut se souvenir que l’hétérogénéité des destins politiques dans l’espace européen était paradoxalement plus forte qu’aujourd’hui. L’UE ne comptait alors que douze membres et se résumait essentiellement à un marché commun très atlantique et méditerranéen dans sa géographie, au sein duquel la France faisait encore jeu égal avec la République fédérale d’Allemagne (RFA). Une réelle pluralité d’alignements existait en Europe. La voie « neutre » était, plus ou moins volontairement, choisie par davantage de pays qu’en 2023. Même au sein des anciens satellites de l’Est, les trajectoires étaient contrastées et hésitantes. De fait, le besoin était patent d’une architecture commune, en surplomb des différents sous-espaces, dans un continent qui sortait d’une opposition binaire pour entrer dans une ère de focalisation sur les enjeux économiques, d’affirmations nationales et de doutes sur les orientations et les limites de chacun.
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