L'Occident a-t-il perdu de son soft power sur la scène internationale ? Se posant la question, l'ambassadeur donne des éléments de réponse à la lumière de l'actualité au Moyen-Orient, en Afrique et, de manière générale, dans le « Sud global ».
La France, l’Europe et l’Occident ont-ils perdu la main sur la diplomatie internationale ? (T 1469)
(© Getty Images)
La presse internationale évoque régulièrement le flottement des diplomaties occidentales face aux actions déstabilisatrices des dictatures et à la montée d’un sentiment anti-occidental dans les pays du Sud – le « Sud global ». Cette analyse s’appuie sur un certain nombre de faits peu contestables.
L’Occident n’occupe effectivement plus la centralité qu’elle avait depuis des siècles et l’Europe peine à apparaître comme une puissance majeure dans le désordre international actuel. En Europe, le moteur franco-allemand n’est plus aussi déterminant qu’autrefois et les pays d’Europe orientale et nordique font de plus en plus entendre leur voix, parfois critique à notre égard. En Afrique, nos revers en Centrafrique, au Mali et au Burkina Faso montrent une vulnérabilité des positions françaises dans un contexte de guerre informationnelle – récit anti-français alimenté par Moscou et Pékin – et d’entrisme chinois, russe, turc et même américain.
Au Moyen-Orient, la France reste le pays européen le plus actif politiquement, mais nous avons dans les opinions publiques arabes l’image d’un pays « qui a un problème avec l’islam ». Le Sud ne voit plus l’Occident comme « le » modèle et renoue avec une rhétorique de l’humiliation et la critique du « deux poids deux mesures » occidental.
Toutefois, il existe heureusement d’autres facteurs plus encourageants, et nos pays ont des choses à proposer : la guerre en Ukraine a montré que l’Occident pouvait ne pas être pusillanime, que l’Europe était capable de prendre des mesures fortes et que l’Otan avait retrouvé une raison d’être face à l’agressivité russe. Les puissances contestataires – en particulier la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie – connaissent, pour leur part, des difficultés intérieures et extérieures importantes qui handicapent leurs actions.
L’entente franco-allemande demeure indispensable pour la bonne marche de l’Europe, mais nous devons davantage écouter l’Europe orientale (face à la Russie) et l’Europe du Sud (face à la crise migratoire).
En Afrique, on nous accuse d’avoir gardé des réflexes « paternalistes », qui ne sont plus acceptés. Aussi, face à l’entrisme de nos concurrents, devons-nous préciser, au niveau européen, nos propositions aux États africains de grands projets d’infrastructures correspondant à leurs besoins – et susceptibles de freiner, à terme, l’immigration illégale en Europe.
Dans le monde arabe, nous devrions prendre une initiative – coordonnée avec l’Europe, les États-Unis, l’ONU, le Saint-Siège et certains pays arabes, en particulier l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) – pour relancer le processus de paix au Proche-Orient et répondre ainsi à la critique du « deux poids deux mesures », du fait de notre demande de soutien à l’Ukraine et notre complaisance envers la politique israélienne de négation de l’aspiration nationale palestinienne. Cela éviterait, en outre, que l’Iran s’approprie la défense de la « cause sacrée » des Arabes.
Vis-à-vis du Sud enfin, nous devrions avoir une politique plus offensive face à l’agression russe en Ukraine pour souligner le risque que la violation du droit international fait courir à ces pays eux-mêmes. Nous pourrions aussi, sans polémiquer avec Pékin, faire valoir le danger d’un endettement excessif envers la Chine et promouvoir une réforme en profondeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), afin de définir de nouvelles règles du commerce international plus équitables. Cela implique que nous prenions en compte les spécificités et intérêts de chacun de nos partenaires, tant il est clair que, par exemple, la « neutralité » saoudienne dans le conflit en Ukraine a des motifs très différents de celle de Brasilia. ♦