Dans son traditionnel « Parmi les livres » l'ambassadeur Eugène Berg revient sur la littérature récente sur la guerre en Ukraine, réflexions sur un nouvel ordre international et sur les évolutions à venir du conflit, qui tend à durer.
Parmi les livres – Guerre en Ukraine (T 1493)
Plus d’un an après le début de l’invasion russe, et depuis la reprise de Kherson, le 11 novembre dernier, par l’armée ukrainienne, la situation sur le terrain n’a pas fondamentalement changé. La bataille de Bakhmout qui a occasionné des pertes énormes de chaque côté (autour de 30 000 victimes) s’est néanmoins achevée, avec la prise de la ville martyre, devenue le Verdun du XXIe siècle, entièrement détruite par la Société militaire privée (SMP) Wagner. Que nous apportent les nouveaux livres parus ces derniers mois, sur cette guerre globale, qui se prolonge, s’approfondit et n’est apparemment pas près de se terminer ?
Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde
Sous la direction de Michel Duclos, 25 regards internationaux portent leur attention sur les conséquences de l’agression russe (1). La brassée de textes réunis dans ce livre vient d’auteurs divers, dont la plume est parfois libre, mais parfois plus convenue. Une dizaine d’entre eux sont des nationaux de pays du Sud. Deux Russes, dont Fiodor Lyoukanov, directeur de Russia in Global Affairs et un Chinois ont fourni leur vision, ainsi que quelques Américains et Européens. Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne a délibérément évité une analyse euro-centrée ou occidentalo-centrée. Souvent ces réflexions ont été livrées à un stade avancé du conflit, ce qui n’ôte en rien de leur valeur car, comme l’avait écrit Talleyand : « méfiez-vous de votre première impression, elle est la bonne ». Dans son introduction, Michel Duclos, se livre à une analyse d’ensemble sur l’état du monde en émettant le vœu qu’au sein du directoire mondial en voie de formation constitué des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Inde et de l’Europe, cette dernière puisse jouer un rôle majeur. On le souhaite, mais on n’en voit pas encore la possibilité se profiler. On peut se demander, comme il l’écrit, si l’Algérie sent peut-être la nécessité de moins lier son sort à celui de la Russie au moment où elle se livre à des manœuvres navales avec elle. Il est certain qu’il conviendra d’imaginer d’inédites formes de dialogue de sécurité, et notamment de restreindre (ce qui ne sera pas facile à obtenir) de retreindre l’usage du droit de veto.
C’est ainsi que l’homme d’affaires malaisien, fondateur du think tank panasiatique The Global Institute for Tomorrow, appelle les Occidentaux à se détacher de leur attitude hégémonique, marquée par la colonisation envers le Sud et incite les Européens à prendre leurs distances à l’égard des États-Unis. Timofei Bordachv, directeur du programme Asie-Eurasie du Valdaï Discussion club, au sein duquel Vladimir Poutine intervient chaque année en majesté, en appelle à un nouvel ordre mondial, délesté de ses « valeurs occidentales » qui ne peuvent plus prétendre à l’universalité, sans en préciser les contours. Constater en effet que la future architecture internationale ne sera ni claire ni cohérente fait-il avancer le débat ? Fiodor Lyoukanov paraît plus ouvert et n’exclut nullement l’hypothèse d’une Russie affaiblie qui s’appuierait davantage sur les forces armées et un contrôle social accru. Il admet aussi que les intérêts de la Russie et de la Chine ne coïncident pas parfaitement et que c’est la perception que l’Occident a de la Russie et de la Chine qui les unit. Pour l’économiste et analyste politique béninois Gilles Yabi, l’Afrique (on le savait bien), en proie à tant de difficultés, lesquelles n’ont fait que s’aggraver, ne peut pas estimer le conflit ukrainien, comme la concernant, d’où la distance qu’elle a prise.
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