Pour le centenaire de la signature du Traité de Lausanne, le professeur Georges-Henri Soutou analyse la portée historique de ce texte, qui modifia la face du Moyen-Orient dans l'Entre-deux-guerres. Entre conséquences diplomatiques, militaires et géopolitiques, le Traité de Lausanne prend une place particulière dans l'histoire du XXe siècle.
L’importance historique du Traité de Lausanne (T 1501)
Signature du Traité de Lausanne le 24 juillet 1923 (© Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)
Le traité de Lausanne du 24 juillet 1923 marqua une césure importante dans la vie internationale. Ce fut la première révision de l’un des traités de 1919-1920, et qui contribua à affaiblir la légitimité de l’ordre européen établi à Versailles. Ce fut un changement important dans les modes de règlement des questions de nationalités. Ce fut, enfin, la marque de toute une série de réalignements géopolitiques en Europe, dont les effets lointains ne sont peut-être pas encore épuisés. En effet, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale (France et Grande-Bretagne) se divisèrent et les vaincus (Turquie, Allemagne, Russie) en profitèrent.
Le point de départ
Le Traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920 avec la Turquie, extrêmement dur, amputait très largement le territoire de l’ancien Empire ottoman – au-delà même de la perte de la Syrie, de la Palestine et de l’Irak – et le mettait sous le contrôle des Alliés, qui occupaient Constantinople et les Détroits, et administraient les finances turques. En outre, la Grèce, très proche de la Grande-Bretagne, annexait ce qui restait de la Turquie d’Europe (sauf la région de Constantinople) et la région de Smyrne. En fait, cette solution était tout en faveur de l’Angleterre : appuyée sur la Grèce et les Arabes du Hedjaz (qui contrôlaient l’Arabie saoudite et la Transjordanie) elle assurait sa suprématie en Asie mineure et au Moyen-Orient.
Les Français, mécontents de se voir ainsi pratiquement évincés, décidèrent de jouer la carte du nationalisme turc, bien sûr en pleine révolte contre le traité de Sèvres, et conclurent, le 20 octobre 1921, un accord avec Kemal Atatürk, qui était en train d’arracher le contrôle de la Turquie au Sultan qui, lui, s’appuyait sur Londres. Par cet accord la France rétrocédait à la Turquie la Cilicie, au nord de la Syrie, et surtout reconnaissait de facto Kemal. Ainsi conforté, celui-ci chassa les Grecs d’Asie Mineure en septembre 1922 (dans des conditions d’ailleurs atroces). Le traité de Sèvres était caduc et les rapports franco-britanniques en furent rendus absolument exécrables, ce qui ne fut pas sans conséquence sur les affaires allemandes au même moment.
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