Éditorial du lundi 18 septembre. La guerre en Ukraine est aussi une guerre navale. Le général Jérôme Pellistrandi fait le point sur les enjeux du conflit russo-ukrainien en mer Noire.
Éditorial – Bataille navale en mer Noire (T 1524)
Ukraine Presidency/Ukrainian President | © ZUMAPRESS
Dans les premières semaines de l’« opération spéciale militaire » déclenchée par Vladimir Poutine, la mer Noire fut l’objet de plusieurs affrontements largement médiatisés. Il y eut la résistance de la garnison ukrainienne de l’île aux Serpents face au croiseur Moskwa, permettant ainsi à Kiev, alors dans une phase dramatique face aux avancées russes, d’exalter le courage de ses soldats. Le 14 avril 2022, ce même croiseur touché par des missiles ukrainiens coule, marquant brutalement les esprits et la vulnérabilité de la flotte russe, trop sûre d’elle-même.
Il faut toutefois admettre que le centre de gravité de la guerre est plutôt terrestre avec des batailles mettant principalement en œuvre fantassins, sapeurs et artilleurs. Avec des combats dont l’intensité est à comparer avec les pires épreuves des deux guerres mondiales. Se référer à Verdun ou à Stalingrad n’est pas vain. Il en est de même avec la troisième dimension, où les Russes n’épargnent pas les populations civiles, sans pour autant briser la résistance morale des Ukrainiens. Moscou, là encore, oublie les leçons de l’histoire : bombarder les populations civiles n’a jamais fait basculer une guerre.
Et pourtant, cette guerre est aussi navale avec de nombreux événements tactiques qui se déroulent en mer Noire. Tout d’abord, Kiev s’est efforcée à plusieurs reprises de neutraliser le pont routier et ferroviaire de Kertch, reliant l’extrémité Est de la péninsule de Crimée au territoire russe ; pont inauguré en grande pompe par Vladimir Poutine lui-même en 2018. Même si les frappes n’ont pas interrompu le trafic, elles ont eu un impact médiatique non négligeable, traduisant le manque de protection de l’édifice.
Depuis cet été, après la non-reconduction par Moscou de l’accord autorisant le transfert par voie maritime des céréales ukrainiennes transitant notamment par Odessa, la mer Noire est désormais un théâtre essentiel du conflit avec, certes, un déséquilibre du rapport de force entre les deux marines. Moscou dispose d’une supériorité incontestable s’appuyant sur le port historique de Sébastopol, un des trois piliers de la marine russe avec Mourmansk vers l’Arctique et Vladivostok pour le Pacifique.
Pourtant, Kiev a multiplié les attaques avec des moyens asymétriques comme les drones navals utilisés abondamment et qui ont obtenu de vrais résultats. Le plus spectaculaire a eu lieu cette semaine avec des tirs de missiles permettant de détruire un navire de débarquement, le Minsk et d’endommager un des cinq sous-marins du type Kilo utilisés pour tirer des missiles de croisière du type Kalibr vers le territoire ukrainien. Les deux bâtiments étaient en cale sèche et, de ce fait, deux des trois installations de ce type dans l’arsenal de Sébastopol sont neutralisées pour plusieurs semaines au moins.
Simultanément, Kiev a pris la décision de relancer une nouvelle voie maritime plus proche des côtes ouest de la mer Noire pour dégager les stocks de céréales, alors même que la récolte 2023 s’achève. Plusieurs cargos sont en transit sur cette route avec le risque avéré de frappes de représailles.
Tous ces faits démontrent bien que la mer Noire est pleinement intégrée aux opérations avec une volonté russe de contrôler cet espace, mais que celle-ci est ouvertement contestée par Kiev. Cela signifie aussi que l’Otan surveille de très près ce qui s’y passe. Ainsi, la Roumanie est en première ligne d’autant plus que Moscou n’a pas hésité à bombarder les installations portuaires d’Izmajil, ville située juste en face de la ville roumaine de Tulcea et séparé par un des bras du Danube, au risque de dégâts collatéraux.
Autre conséquence : les dommages environnementaux comme ceux provoqués lors de la destruction du barrage de Kachovka rejetant des milliers de mètres cubes de terres polluées en mer et sans oublier les nombreuses mines marines posées par les deux belligérants, mines qu’il faudra bien un jour éliminer, une fois la guerre terminée.
Oui, la bataille de la mer Noire est bien un des théâtres de ce conflit du XXIe siècle, pour des objectifs politiques imposés par Moscou, conflit relevant, pourtant, du XIXe. ♦