19 mois de guerre en Ukraine. Un conflit qui risque de durer encore de longs mois, dont on ne peut, pour l'heure, prévoir de l'issue, mais qui aura des conséquences sur plusieurs décennies dans les relations internationales. Dans ce nouvel éditorial, le général Pellistrandi analyse les éléments démographiques de la guerre en Ukraine, entre conscription et baisse, à prévoir, de la natalité et la hausse de la mortalité avec une population vieillissante, tant en Russie qu'en Ukraine.
Éditorial – Un hiver démographique (T 1526)
Publicdomainpictures.net
Avant même que la guerre ne commence il y a désormais 19 mois, tant la Russie que l’Ukraine connaissaient une crise démographique sans précédent, avec une baisse régulière de leur population et une espérance de vie déclinante. Ainsi, en 2021, la population russe atteignait 143,4 millions d’habitants contre 148,4 en 1994. Déjà en 2006, Vladimir Poutine s’inquiétait de cette tendance baissière. Proportionnellement, pour l’Ukraine, la situation est pire avec 43,79 millions contre 52,18 en 1993.
Accélération des émigrations principalement vers l’Europe pour des emplois mieux rémunérés, diminution de la fécondité avec une restriction drastique des enfants et, il ne faut pas l’oublier, l’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 en 2020-2021 avec de très nombreux décès. Officiellement, environ 391 000 pour la Russie et 110 000 pour l’Ukraine. Cela signifiait de facto une situation déjà difficile et de conséquences sur le long terme particulièrement négatives pour les deux pays.
Après 19 mois de guerre de haute intensité, l’impact démographique du conflit va être dramatique, tant pour Moscou que pour Kiev. Certes, il est difficile d’avoir un bilan précis des pertes tant les deux États ne communiquent pas sur le sujet. Toutefois, les estimations faites par les services occidentaux sont suffisamment étayées pour évaluer la situation. Environ 500 000 combattants des deux camps sont hors de combat : 300 000 pour les Russes dont 120 000 tués et 200 000 du côté ukrainien dont 70 000 tués. Ces chiffres témoignent de l’intensité des combats et doivent ne pas faire oublier les souffrances subies. Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), les pertes civiles sont, en revanche, plus faibles avec, au 11 septembre 2023, 9 614 civils ukrainiens tués sur un total de 27 149 victimes. Ces chiffres sont cependant considérés par l’UNHCR lui-même comme étant largement sous-évalués. Depuis plusieurs mois, le nombre de morts s’élève à environ 180-200. C’est bien sûr dramatique pour les familles, mais l’impact restera relativement limité.
En termes de démographie, c’est essentiellement la tranche masculine des 20-39 ans qui est la plus concernée et qui va donc, potentiellement, manquer dans les décennies à venir notamment comme génitrice des enfants à venir et/ou qui ne viendront pas. Ce sont les militaires d’active ou mobilisés qui subissent le choc de cette guerre.
Dès lors, le manque à naître va être durable et aura des conséquences sur environ un demi-siècle, c’est-à-dire au moins jusqu’aux alentours de 2080. Un phénomène analogue à ce que la France a connu après la guerre de 1914-1918 et dont l’impact s’est prolongé au moins jusqu’au baby-boom des Trente Glorieuses (1945-1975).
Pertes de naissances, donc non-renouvellement des générations et vieillissement accéléré des populations, émigration forte notamment des mieux éduqués pour échapper à l’incorporation… Et cela est également valable pour la Biélorussie avec au moins 200 000 à 300 000 Biélorusses qui ont fui la dictature d’Alexandre Loukachenko.
C’est donc bien un hiver démographique qui se prépare pour les deux pays et dont les répercussions marqueront 2 à 3 générations. Sans oublier la question très sensible de la réintégration dans la société civile des dizaines de milliers de « gueules cassées ». ♦