À l'occasion du 11 Novembre, la RDN a souhaité revenir sur la commémoration de l'armistice de 1918 qui a eu lieu en 1943 à Oyonnax, il y a 80 ans jour pour jour. Audace des résistants du maquis de l'Ain, les hommes de Henri Romans-Petit ont bravé tous les interdits de la France vichyste pour que « les vainqueurs de demain » rendent hommage « à ceux de 1914-1918 ».
Il y a 80 ans – La commémoration du 11 Novembre à Oyonnax en 1943 (T 1540)
Défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax
Dans une France intégralement occupée depuis un an auparavant, commémorer l’armistice de 1918, le 11 novembre 1943, relevait de la gageure pure et simple. Et bien, celle-ci a été relevée par les maquis de l’Ain.
À base essentiellement de réfractaires du Service du travail obligatoire (STO), ces maquis se sont constitués progressivement depuis le début de l’année 1943. Ils ont été initiés originellement par l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), qui s’était développée et organisée depuis la fin de l’année 1942, sous l’impulsion du chef de bataillon Monier-Vinard, à partir de cadres d’active et d’engagés du 60e Régiment d’infanterie (60e RI). En parallèle, un ancien capitaine d’aviation, Petit, qui prendra le pseudonyme de Romans comme nom de guerre, regroupe les réfractaires du STO et les camoufle dans des fermes isolées du sud du Jura, dans la région du Bugey. L’armement provient à la fois de parachutages alliés – relativement peu – et de dépôts clandestins organisés dans les mêmes fermes isolées, durant la période pré-1942, lorsque l’armée d’armistice existait. Cette région du Jura, difficile d’accès, offre, en outre, l’avantage d’être à portée directe avec la frontière suisse. Si bien qu’à l’été 1943, les deux organisations armées de la Résistance, ORA et AS, cohabitaient fort bien, tout en étant progressivement coordonnées par Lyon, chef-lieu de la région R1, où le commandement de la Résistance armée était assurée par un membre de l’AS, qui serait bientôt assisté d’un chef d’état-major de l’ORA. Au cours de l’été 1943, l’intégralité des maquis de l’Ain passe sous le commandement de Romans, gage d’efficacité. C’est d’ailleurs ce dernier qui identifie le plateau des Glières, de l’autre côté du Rhône, comme zone de parachutage (drop zone ou DZ) au profit du Special Operation Executive (SOE) et qui en confie l’organisation et le commandement au lieutenant Tom Morel du 27e Bataillon de chasseurs alpins (27e BCA).
Le gouvernement de Vichy avait, bien entendu, interdit toute commémoration de l’armistice de 1918. Pour le 25e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, les Mouvements unis de la Résistance (MUR), qui regroupent les trois grands mouvements de la zone Sud, décident d’ignorer cette interdiction et d’afficher leur présence en faisant déposer des gerbes aux monuments aux morts, avec cette inscription : « Les vainqueurs de demain à ceux de 1914-1918 ». Romans, qui tient bien en main ses troupes, décide de dépasser cette consigne et organise une véritable prise d’armes avec, outre le dépôt de gerbe à un monument aux morts, un défilé en armes (certaines factices) d’un contingent de maquisards en tenue. Celle-ci est fournie par un rapt sur un dépôt des chantiers de jeunesse : blouson, culotte verte, chaussettes blanches, béret.
Son choix se porte sur Oyonnax, au nord du département de l’Ain, alors que le gros des unités allemandes d’occupation se trouve au sud, en verrou d’Annemasse, poste frontière avec la Suisse. En outre, les autorités d’Oyonnax (police et gendarmerie) sont complices et acquises à la cause de la Résistance. Le central téléphonique de la Poste est neutralisé.
Les participants sont acheminés en camions bâchés, débarquent à l’entrée de la ville, où ils se mettent en tenue. En ville, au même moment, d’autres maquisards contrôlent la population et visent à neutraliser toute action de miliciens, le cas échéant. Le défilé a lieu, Romans en tête, suivi d’un porte-drapeau et d’une « compagnie » en armes. Au monument aux morts, le dépôt de gerbe est suivi d’une minute de silence et d’une Marseillaise.
L’exfiltration se déroule en ordre et avec rapidité, en chantant Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Puis, les camions repartent, isolément, par plusieurs itinéraires, vers les fermes d’origine. Ni les Allemands, ni les forces de l’ordre vichystes n’ont eu le temps de réagir. Le retentissement est énorme. À Londres, la BBC passe en boucle l’information sur son antenne. Vichy réagit, ainsi que les Allemands. L’intendant de police local lance une opération à base de Groupements des moyens régionaux (GMR), qui sont repoussés par des tirs précis, et un accord local ultérieur entre GMR et AS neutralise leur intervention. En revanche, les Allemands réagissent avec brutalité. Ils se livrent à une rafle suivie de déportations à Nantua, la grande ville voisine. Le maire d’Oyonnax et ses adjoints sont arrêtés et assassinés par la Wehrmacht, à titre de représailles.
Ailleurs dans le département, de façon anonyme, des gerbes ont été déposées aux monuments aux morts.
Cette manifestation de l’unité de la Résistance (AS et ORA) est à mettre en perspective avec les grands événements à venir : les Glières, le Vercors et la libération des deux départements de Savoie et de Haute-Savoie par des unités du maquis qui reprendront rapidement l’organisation et l’appellation des bataillons alpins de la 27e DIA, qui sera reformée, dès l’automne 1944 par le lieutenant-colonel Vallette d’Osia, qui en sera le premier commandant pour tenir la crête frontière des Alpes durant l’hiver 1944-1945. ♦