Nous avons commemoré le 105e anniversaire de la signature de l'armistice de la Première Guerre mondiale le 11 novembre. Depuis 2012, cette journée est aussi celle où l'on rend hommage à tous les morts pour la France, anciens et actuels. Si le dernier Poilu est mort en 2008, la période est celle d'un devoir de mémoire plus que jamais essentiel pour pérenniser le souvenir de ceux qui se sont sacrifiés il y a plus de 100 ans, dans un conflit qui modèle, encore aujourd'hui, l'échiquier géopolitique international, et alors que certains de nos adversaires systémiques cherchent à manipuler l'histoire.
Éditorial – Le 11 Novembre a-t-il encore un sens ? (T 1541)
Signature de l'armistice le 11 novembre 1918. Maurice Pillard Verneuil, Public domain, via Wikimedia Commons
105 ans après l’Armistice du 11 novembre 1918, le rituel républicain rassemble toutes les autorités du pays autour des monuments aux morts et au pied de l’Arc de Triomphe. Et si pour beaucoup, le 11 Novembre se résume désormais à un jour férié, il importe, plus que jamais, de se remémorer l’importance, non seulement, de la fin de la guerre pour les centaines de milliers de Poilus de l’époque, mais aussi sur ses conséquences encore perceptibles aujourd’hui au regard des deux guerres de haute intensité qui se déroulent sous nos yeux.
En effet, on ne peut pas comprendre les chaos actuels sans se replonger dans leurs causes historiques et la Première Guerre mondiale reste la matrice de notre époque si troublée et marquée par le retour des ambitions impériales et de la guerre comme moyen de régulation des relations internationales.
Ainsi, l’attaque russe en Ukraine du 24 février 2022 a accéléré définitivement le « faire Nation » pour les Ukrainiens dont l’indépendance face à l’URSS ne datait que de 1991. Une partie de la population était d’ailleurs russophone et s’accommodait du modus vivendi, malgré l’occupation illégale de la Crimée et d’une partie du Donbass. Il faut toutefois souligner que l’ouest du pays a connu des tutelles bien différentes. Ainsi, la ville de Lviv, aujourd’hui une des plaques tournantes de l’aide militaire occidentale s’appelait Lemberg jusqu’en 1918 et appartenait à l’Empire austro-hongrois, qui a été disloqué par les traités de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 et du Trianon du 4 juin 1920. La Galicie est alors rattachée à la nouvelle Pologne, Lemberg devenant Lwow jusqu’en 1939. L’URSS de Staline profita alors de la défaite polonaise pour intégrer cette ville selon le pacte Ribbentrop- Molotov. Les habitants de Lviv ont ainsi changé quatre fois de nationalité en moins d’un siècle.
Bien entendu, on ne peut pas comprendre la volonté actuelle du Kremlin de reconquérir ce qu’il considérait comme étant son empire sans ces références à l’histoire. Pour Poutine, la fin violente du tsarisme et le bolchévisme de Lénine restent une catastrophe géopolitique.
La question de la Palestine est aussi issue de la décomposition de l’Empire ottoman qui s’est accéléré par l’alliance entre celui-ci et le Reich de Guillaume II. La révolte arabe commencée en 1916 et soutenue notamment par Londres voit alors la Déclaration Balfour proposant l’établissement d’un foyer juif en Palestine à l’aune de l’effondrement de l’autorité ottomane. Ce court texte lance le processus qui aboutit à la création de l’État d’Israël en 1948, malgré l’opposition des pays arabes désormais indépendants et issus des accords Sykes-Picot de mai 1916 qui prévoyait le découpage de l’Empire ottoman.
Bien sûr, la Seconde Guerre mondiale a encore accru les haines et la sauvagerie entre les peuples concernés, à commencer par la « Solution finale » visant à éliminer systématiquement les populations juives de l’Europe occupée par les Nazis. La Shoah justifiait encore plus la volonté de créer l’État d’Israël pour protéger ceux qui avaient survécu à l’Holocauste.
Il en est de même pour le génocide des Arméniens chrétiens en 1915 par les troupes ottomanes et dont la non-reconnaissance par Ankara constitue toujours un problème majeur dans la région si troublée du Caucase. Sans oublier l’Holodomor, la famine institutionnalisée par Staline contre les populations paysannes de l’Ukraine dans les années 1930.
Plus que jamais, commémorer le 11 Novembre est essentiel à l’heure où les uns veulent réécrire l’histoire et l’instrumentaliser à des fins idéologiques et où les autres semblent oublier que l’histoire reste tragique et que l’homme est toujours capable de barbarie.
Il faut saluer ici le courage des étudiants parisiens qui, le 11 novembre 1940, défièrent les autorités d’occupation ainsi que le régime de Vichy en allant s’incliner sur la tombe du soldat inconnu. Il faut rappeler encore le défilé des maquisards en uniforme le 11 novembre 1943 à Oyonnax qui, bénéficiant de la complicité de la Gendarmerie et des autorités locales, défilèrent pour aller honorer le monument aux morts de la Grande Guerre.
Oui, célébrer le 11 Novembre est aujourd’hui plus que jamais nécessaire comme il le sera en 2024, année du 80e anniversaire du Débarquement et de la Libération de Paris. ♦