Vladimir Poutine tente de sortir de son isolement diplomatique. La semaine dernière, il était en visite à Riyad et à Abou Dabi, dans le contexte tendu pour le Moyen-Orient et le monde de la guerre entre le Hamas et Israël. Un message fort envoyé aux États-Unis par les pays du Golfe.
Chronique du Moyen-Orient – Comment interpréter la visite de Vladimir Poutine dans le Golfe ? (T 1554)
La visite du Président russe à Abou Dabi et Riyad est significative pour le président lui-même – qui exploite la guerre à Gaza pour sortir de son isolement international – mais aussi pour les pays du Golfe, qui manifestent ainsi leur autonomisation croissante à l’égard de Washington.
Cette visite marque d’abord la poursuite de la coopération pétrolière au sein de l’Opep+ (1), dont l’objectif vise à maintenir le cours du brut à un certain niveau, malgré le ralentissement économique mondial et la réduction de la demande. C’est aussi un message à Washington au moment où les producteurs américains de schiste augmentent leur production, au risque de concurrencer les membres du cartel.
La présence de Vladimir Poutine à Abou Dabi et Riyad est également, sur le plan politique, un signal clair des États du Golfe que la politique américaine de soutien à l’opération militaire israélienne à Gaza n’est plus tolérée dans le monde arabe. Le veto mis par Washington au projet de résolution émirien au Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu est la goutte qui fait déborder le vase. Jusqu’ici les capitales du Golfe n’étaient en réalité pas mécontentes qu’après le carnage du 7 octobre, Tel Aviv mette au pas le Hamas, proche des Frères musulmans et allié de Téhéran. Elles approuvaient aussi implicitement le fait qu’en déployant une armada en Méditerranée orientale, le président Biden ait dissuadé le Hezbollah et l’Iran d’embraser la région. Elles avaient enfin noté avec satisfaction qu’Antony Blinken, Secrétaire d’État des États-Unis, donnait le signal qu’il fallait désormais travailler à l’organisation de l’après-Gaza et à l’établissement d’un État palestinien. Toutefois, le jusqu’au-boutisme de Netanyahou, l’importance des pertes civiles palestiniennes et le drame humanitaire qu’est devenu Gaza contraignent désormais les capitales du Golfe à faire pression sur Washington pour parvenir rapidement à un cessez-le-feu. La visite de Poutine dans la région est, à ce titre, un avertissement que les États du Golfe adressent au président Biden.
Aujourd’hui, la balle est clairement dans le camp américain, qui a les cartes principales pour sortir de la crise. Le visage que prendra le Moyen-Orient à l’issue de cette tragédie tarde, certes, à se dessiner. Jusqu’où Israël est-il prêt à aller pour prouver que le 7 octobre n’était qu’un « accident » dans son système sécuritaire ? Que restera-t-il de Gaza quand les canons s’arrêteront enfin ? Quelles conséquences cette guerre aura-t-elle sur les équilibres régionaux, sur les rapports qu’entretient Israël avec le reste du monde et avec les pays arabes en particulier, ou encore sur le projet hégémonique iranien au Moyen-Orient ? Les pays du Golfe se posent naturellement ces questions et sont conscients que Washington ne veut pas voir ses alliés traditionnels dans la région prendre encore plus le large. Une négociation serrée est donc engagée entre ces pays et les États-Unis sur les plans politique, sécuritaire et économique pour tenter de définir un nouveau partenariat plus équilibre dans la région. Celui-ci devra tenir compte des coopérations privilégiées du Golfe, sécuritaire avec les États-Unis, pétrolière avec la Russie et commerciale avec la Chine. ♦
(1) Les 14 pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Algérie, Angola, Arabie saoudite, République démocratique du Congo, Émirats arabes unis (EAU), Équateur, Gabon, Guinée équatoriale, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria et Venezuela) auxquels, depuis 2016, s’ajoutent : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud.