L'historien Alexandre Jevakhoff, spécialiste de la Russie, revient sur l'héritage de Lénine en Russie à l'occasion du centenaire de la mort de, selon les mots de l'historien, auteur du Livre noir du communisme, Stéphane Courtois, « l'inventeur du totalitarisme ».
21 janvier 1924 – 21 janvier 2024 : L’ombre de Lénine en Russie (T 1563)
Vladimir Illitch Lénine (ca 1900). © Library of Congress via Picryl.com
Dans leur Il est midi dans le siècle, paru en 2013, Michel-Antoine Burnier et Léon Mercadet imaginent le train allemand emportant Lénine et ses compagnons vers Petrograd, au printemps 1917, percuter de plein fouet un autre convoi ferroviaire. Aucun révolutionnaire russe ne survit. Lénine enterré, Kerenski préside une république bourgeoise tandis que Trotski s’exile à Paris dans une vie de romancier. À la fin des années 1930, Staline assassine un rival politique avant d’être déclaré irresponsable : il est fou. Avec une Allemagne qui n’a jamais entendu parler de Hitler, la Russie devient la principale puissance européenne. Le livre de Burnier et de Mercadet n’est, cependant, qu’un roman uchronique.
Lénine, on le sait, est bien arrivé à Petrograd. Il ne meurt que le 21 janvier 1924, après avoir pris le pouvoir par le coup d’État d’octobre 1917 et l’avoir conservé tout au long de la guerre civile conduite contre les antibolcheviques de droite – « les généraux blancs » – et leurs alliés étrangers, mais aussi les mouvements de gauche opposés au bolchevisme, les paysans et même les fameux marins de Kronstadt qui, après avoir été ses premiers prétoriens, se sont mis à douter des mérites du bolchevisme.
À la mort de Lénine, « le génie de la classe ouvrière », le Parti communiste russe affirmait que « le meilleur monument [à sa gloire] consistait à réaliser ses préceptes ». Les masses, même prolétariennes, étant ce qu’elles sont, les mêmes dirigeants ont tout de suite ajouté un autre monument : le fameux mausolée de la place rouge, en bois avant de devenir cette curiosité architecturale mélangeant granit, pierre de Labrador et porphyre de Carélie. Point de passage obligé pour les Soviétiques comme pour les touristes étrangers, lieu de vénération pour les admirateurs de Lénine, le mausolée a survécu à l’URSS : le cadavre de Lénine est toujours là malgré les nombreuses tentatives politiques (Gorbatchev, Eltsine et Loujkov, le maire de Moscou, en particulier) ou religieuses (le patriarche Alexis II), sans oublier les descendants des Russes blancs pour lesquels il est difficile de se réconcilier avec la patrie de leurs ancêtres tant que « l’inventeur du totalitarisme » – selon le titre éponyme de l’ouvrage de Stéphane Courtois (1) – continue de trôner à l’ombre du Kremlin.
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