Quel a été le rôle des services de renseignement russes dans la décision d'envahir l'Ukraine ? Dans un article en deux parties, Cyril Gélibter analyse les dysfonctionnements des services dans le processus de décision menant au 24 février 2022.
Le renseignement russe et la décision d’attaquer l’Ukraine (2/2) Les superviseurs des services (T 1577)
Cet article est la seconde partie de la tribune n° 1562 : « Le renseignement russe et la décision d’attaquer l’Ukraine : un rôle ambigu »
Nikolaï Patrouchev, un « faucon » prudent ?
Dans son ouvrage, le journaliste Owen Matthews présente le secrétaire du Conseil de sécurité comme l’un des architectes de la préparation de l’invasion de l’Ukraine (1). Nikolay Patroushev joue un rôle majeur dans le processus décisionnel russe. Ce pur produit du KGB, après avoir succédé en 1998 à Vladimir Poutine à la tête de la Direction de contrôle de l’administration présidentielle, revient au FSB, quand le futur Président russe est nommé à sa tête en juillet 1998, pour devenir directeur du Département de sécurité économique avec rang d’adjoint du directeur, puis 1er directeur adjoint, directeur du FSB (août 1999-mai 2008) et secrétaire du Conseil de sécurité depuis mai 2008. Présenté comme un « faucon », ce diplômé en constructions navales a fortement développé, aussi bien en tant que directeur du FSB qu’au Conseil de sécurité, ses relations avec l’étranger, en visant les personnes-clés, et ce sur tous les continents. Il développe les relations avec les Pasdarans, qui sont une des composantes majeures du régime iranien ; rencontre en Libye en 2005 Moatassem Kadhafi, quatrième fils du colonel Kadhafi et qui occupera par la suite des postes-clés dans l’appareil sécuritaire libyen ; mais également le coordonnateur national du renseignement (CNR) français Didier Le Bret le 20 novembre 2015, peu après les attentats de Paris ; son homologue américain John Bolton sous Donald Trump ; et, comme le montrent les communiqués du Conseil de sécurité russe, ses homologues sécuritaires chinois, vietnamiens, thaïlandais, angolais, kazakhs, sud-africains, cubains, philippins (2)… En plus de recevoir les notes des différents services, ce proche de Poutine décrit comme un ascète est également chargé de la coordination des services de renseignements et de sécurité, de facto, depuis 2008, et juridiquement depuis un décret de mai 2011 (3).
Cette casquette, tout à la fois de diplomatie secrète et de coordonnateur du renseignement – même si, selon l’historien britannique spécialiste de la Russie Mark Galeotti, le secrétaire du Conseil de sécurité arbitrerait les conflits qui ne sont pas suffisamment sérieux pour être remontés au Président (4) – aurait-elle déteint sur Patrouschev ? Lors de la réunion du Conseil de sécurité du 21 février 2022, Patrouchev insiste sur plusieurs points : les négociations doivent être menées uniquement avec les États-Unis – l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Otan, l’Union européenne (UE) suivront si un accord est obtenu avec Washington – par Poutine avec Biden, en exigeant que le conflit autour de Donetsk et de Lougansk cesse rapidement, dans un délai de deux à trois jours, et alors la Russie sera favorable au dialogue, pour un plan prévoyant des délais – Patrouchev paraît écarter les accords de Minsk. Il est à noter que Poutine, après avoir entendu les propositions de Patrouchev, donne la parole à l’interlocuteur suivant (le Premier ministre Mikhaïl Michoustine), sans chercher à creuser la question.
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