À l'occasion des commémoration des 70 ans de la bataille de Dien Bien Phu, Eugène Berg analyse les ouvrages de Pierre Servent et de Pierre Pelissier qui offrent des grilles de lectures sur les leçons que nous devons tirer de la défaite de Diên Biên Phu, en mai 1954.
Parmi les livres - Quelles leçons tirer de Diên Biên Phu ? (T 1601)
Soixante-dix ans après la défaite du camp retranché de Diên Biên Phu, le travail de mémoire entre le Vietnam et la France a commencé. Pour la première fois, la France a été invitée par les autorités d’Hanoï à participer aux cérémonies de commémoration . « Après les années, la France et le Vietnam ont appris à regarder cette histoire en face, sans fard et sans haine. Sans rien oublier, ni du courage ni des souffrances des uns et des autres », a déclaré le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, accompagné par la secrétaire d’État Patricia Mirallès, chargée de la Mémoire, ainsi que de trois anciens combattants.
Pierre Servent cherche à jeter un nouveau coup d’œil sur ce moment important de notre histoire, militaire et coloniale dans son Diên Biên Phu, les leçons d’une défaite (1), au-delà d’un récit détaillé de la bataille et de son cadre temporel que nous décrit avec force de précisions l’ancien journaliste Pierre Pelissier (2). Après avoir souligné l’affrontement de volonté que constitua cette « sale guerre » d’Indochine menée par des professionnels et des engagés, à 12 000 kilomètres de la métropole, Pierre Servent y retrouve les mêmes traits du mal français qu’il avait détectés en analysant les précédents échecs militaires français. Même sempiternelle querelle des chefs alors que le conflit fait rage, pareil désajustement entre le pouvoir politique et la sphère militaire, même arrogance qui conduit à sous-estimer l’ennemi et à se surestimer, même goût pour l’idée toute faite au lieu d’une approche sur le terrain, même refus de prendre en compte les signaux faibles, même insouciance française permettant aux ennemis de connaître les plans français, même décalage entre les ambitions et les moyens dévolus, même légèreté politique empêchant d’avoir une continuité dans l’effort – 19 gouvernements en 8 ans de guerre, 6 chefs militaires et 6 hauts commissaires sur place. On trouvera le verdict un peu chargé. Heureusement qu’après ce constat de désastre, l’historien militaire met en valeur les traditionnelles qualités du soldat français, insiste sur la bravoure d’un corps de sous-officiers remarquablement solide, le courage des pilotes, celui des médecins, des infirmiers, des convoyeurs du ciel ainsi que des aumôniers.
De son côté, Pierre Pelissier, auteur de vigoureuses biographies sur de Lattre et Salan, réédite pour la seconde fois sa somme devenue un classique Diên Biên Phu, auquel il a ajouté un bref avertissement. Son livre comporte de riches annexes décrivant, notamment par le menu, les conclusions de la commission d’enquête du général Catroux strictement réservé au ministre des Armées et à lui seul – le général Kœnig –, document gardé secret et qui ne fut révélé au public qu’en 1969. Autre texte intéressant, la version quasi complète du plan Navarre, rédigé à la main par le général et qui lui servit de trame lors de son exposé du 24 juillet 1953 devant le Comité de la défense nationale qui l’entérina sans réticence. Il fournit la liste intégrale des unités engagées, du matériel utilisé, ainsi que ce ballet des nombreux visiteurs qui ont tenus à se rendre sur ces « collines inspirées » portant des noms de femmes : Éliane, Dominique, Anne-Marie, Béatrice, Huguette, Gabrielle et un peu plus loin Isabelle.
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