Analysant les notions d’« Ennemi proche » et « lointain » de l'État islamique au Khorasan (EI-K), Didier Chaudet nous livre un tour d’horizon des cibles de ce groupe djihadiste, qui a revendiqué l’attentat de Moscou, en mars dernier. Si le discours anti-occidental originel reste présent, eu égard des menaces dans le cadre des JOP 2024, la priorité de l’EI-K reste la lutte contre l'influence chinoise puis russe en Asie centrale.
L’État islamique au Khorasan (EI-K) : le djihadisme adapté au monde multipolaire (T 1616)
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« Parler de “djihadisme d’atmosphère”, c’est expliquer la pluie par une “atmosphère pluvieuse”. On n’est pas plus avancé ! (1) » Par ces quelques mots, Olivier Roy a tout dit. Et pourtant, quand on parle de danger djihadiste, l’expression revient (trop) souvent. S’il s’agit d’affirmer que des personnes se radicalisent d’elles-mêmes, par l’accès aux idées djihadistes, alors ce n’est ni nouveau ni étonnant : dans le monde anglophone, on a bien compris le danger qui venait de ce qu’on a appelé depuis plus d’une décennie au moins des « loups solitaires » (2), radicalisés par la pensée d’extrême droite (3) ou par la propagande djihadiste (4). Parce que le concept ne concerne pas que le djihadisme lui-même, mais bien toute logique de violence associée à une haine du statu quo politique, social, géopolitique. En fait, l’idée de « djihadisme d’atmosphère » est une expression médiatique et simplifiée de la logique de « Djihad sans leader », défendue par le psychiatre et ancien membre de la CIA, Marc Sageman. La qualité de son analyse n’a pas empêché le débat, notamment la critique radicale mais argumentée de Bruce Hoffman (5), un autre spécialiste du terrorisme. Ce dernier dénonce l’approche sélective, par Sageman, de l’histoire du terrorisme comme du danger représenté par Al-Qaïda en 2008, lors de la publication du livre Djihad sans leader (6).
En réalité, on ne peut comprendre le danger djihadiste, qui s’est matérialisé lors d’attentats spectaculaires à New York, Paris ou ailleurs, sans prendre en compte toute l’importance des groupes djihadistes transnationaux qui, non seulement, diffusent l’idéologie permettant la radicalisation, mais qui la mettent en pratique en utilisant la violence. Penser le djihadiste d’abord en restant au niveau individuel, du « Djihad sans leader » au djihadisme d’atmosphère, amène à minimiser l’ampleur de l’impact des groupes terroristes comme source principale du danger. Hier, cette erreur amenait à négliger l’importance d’Al-Qaïda dans le développement du djihadisme contemporain. Aujourd’hui, cela peut amener à oublier qu’un autre groupe s’est affirmé comme une menace terroriste très concrète, l’État islamique au Khorasan (EI-K), une branche de Daech principalement active en Afghanistan et dans son environnement régional, mais nourrissant des ambitions globales. Une volonté qui l’a amené à tenter de frapper la France à plusieurs reprises semble-t-il, comme affirmé par le Président Emmanuel Macron, le 25 mars 2024 (7).
L’EI puis l’EI-K se situent dans la continuité d’Al-Qaïda sur un sujet essentiel : une réflexion sur la lutte à mener entre « Ennemi proche » et « Ennemi lointain ». L’Ennemi proche est la dictature/le régime politique local, l’État moderne né de la décolonisation, ainsi que ses voisins régionaux (8). L’Ennemi lointain est la puissance qui peut soutenir cet Ennemi proche. Al-Qaïda, produit de l’après-guerre froide et de l’unilatéralisme américain triomphant, était avant tout anti-américain, donnant une plus grande importance à cet Ennemi lointain qu’à l’Ennemi proche. L’EI a redonné une plus grande importance à l’Ennemi proche – aujourd’hui, les Taliban et les voisins de l’Afghanistan –, essentiel à combattre pour créer son propre État, comme il l’a fait un temps, au détriment de la Syrie et de l’Irak. Surtout, l’EI comme l’EI-K ont repensé la question de l’Ennemi lointain.
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