Le chef d’escadrons Adrien Lebout analyse un événement qui marqua le territoire chypriote, l’opération interarmées turque du 20 juillet 1974. Un condensé historique éclairé, et une analyse au prisme des trois principes historiques de la pensée du maréchal Foch qui rappelle la force de l’organisation au combat.
Il y a 50 ans – Yildiz 1974 : opération interarmées turque à Chypre Une victoire opérative au prisme de 5 principes de la guerre français (T 1617)
Le 20 juillet 1974, à 7 h 10, les 528 parachutistes du 1er bataillon sautent hors de trois avions C-130 et de six C-160 et s’emparent d’un aérodrome désaffecté (1). Au même moment, en parfaite coordination, un second bataillon est largué sur une autre zone à une dizaine de kilomètres. Une heure plus tard, alors que les premières troupes débarquent sur la plage, le 1er bataillon commando est déposé par des hélicoptères UH-1 aux côtés du 1er bataillon parachutiste. C’est ainsi que débute l’opération turque Yildiz (Étoile) qui vise à contrer un coup d’État pro-grec survenu à Chypre le 15 juillet et cherchant à réaliser l’Enosis, l’unification de l’île avec la Grèce. Cette campagne de 28 jours est un cas d’école d’opération amphibie contemporaine complexe, mais victorieuse. Il est donc pertinent de l’analyser au prisme des principes de la guerre issus de l’école française. Ainsi, après avoir présenté la campagne, nous l’analyserons à la lumière de ces principes. Afin d’enrichir l’analyse, nous complèterons les trois principes historiques issus de la pensée du maréchal Foch avec les deux principes d’incertitude et de foudroyance que l’amiral Labouérie liait fondamentalement au principe de surprise (2).
Rappel du contexte
1960-1974 : de la contestation à l’affrontement
La république de Chypre est créée le 16 août 1960 après environ un siècle d’occupation britannique. Son gouvernement recherche un équilibre entre la représentation des Chypriotes turcs (20 % de la population) et grecs (77 %). Cependant, l’indépendance ravive de vives tensions jusqu’alors sous-jacentes. Un coup d’État pro-grec rompt ce fragile équilibre le 15 juillet 1974. Le gouvernement turc, qui craint pour la sécurité des enclaves chypriotes turques exécute alors une opération amphibie. Celle-ci a pour objectif d’empêcher l’île de s’unifier avec la Grèce en s’emparant du tiers nord-est de l’île. Les Chypriotes grecs, indirectement soutenus par la Grèce, ont pour objectif logique d’empêcher les troupes turques de s’établir sur l’île. Il s’agit donc d’une lutte classique de contrôle d’un territoire avec un emploi de la force typiquement clausewitzien : les objectifs politiques de cette confrontation sont très majoritairement poursuivis par des moyens militaires.
Les forces turques et pro-turques
Impuissante en 1964 lors d’une première crise turco-grecque à Chypre, la Turquie se dote en dix ans d’une force amphibie destinée à intervenir sur l’île. Au jour-J, sa force navale de débarquement est constituée de plusieurs groupes : débarquement, appui feu, couverture navale, déminage de haute-mer et de plage, soutien logistique et force de déception. Le volet aérien bénéficie également de plusieurs groupements de forces : supériorité aérienne, appui feu, transport et surveillance maritime. Enfin, sa composante terrestre est constituée d’un corps d’armée à deux divisions incluant un régiment amphibie, une brigade commando héliportée, une brigade parachutiste et un régiment d’aviation légère, soit 13 500 hommes à terre dès le premier jour pour un maximum de 40 000 hommes en août. Un régiment de Chypriotes turcs à 650 hommes est également présent sur l’île ainsi que des milices d’auto-défense des enclaves mobilisables à hauteur de 15 000 hommes.
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