Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur les dernières déclarations de Vladimir Poutine à l'occasion du 1000e jour de guerre en Ukraine. Entre menace nucléaire et soutien de troupes nord-coréennes, le conflit en Ukraine prend une nouvelle dimension. Pour les Ukrainiens, l'enjeu est de tenir par tous les moyens possibles, alors que l'Occident entre dans une période d'incertitudes, à environ deux mois de l'entrée en fonction de l'administration Trump.
Éditorial – Moscou recherche l’escalade (T 1657)
Vladimir Poutine le 31 mai 2024 (© Kremlin.ru / via Wikimedia Commons)
Editorial – Moscow seeks escalation
This week, Jérôme Pellistrandi looks back at Vladimir Putin's latest statements on the occasion of the 1.000th day of war in Ukraine. Between the nuclear threat and the support of North Korean troops, the conflict in Ukraine is taking on a new dimension. For Ukrainians, the challenge is to hold on by all possible means, as the West enters a period of uncertainty, about two months before the Trump administration takes office.
Avec le « test » grandeur nature d’un missile à portée intermédiaire à capacité nucléaire sur la ville de Dnipro jeudi dernier, Moscou poursuit son épreuve de force pour imposer sa conception de la négociation : la victoire sur l’Ukraine et donc la capitulation de celle-ci ; pas de compromis possible. Une position qui ne correspond pas aux pratiques diplomatiques habituelles pour les pays occidentaux, en particulier européens, où toute discussion se traduit par des concessions mutuelles. Pour le maître du Kremlin, il lui faut gagner cette « opération spéciale militaire » comme ce fut le cas pour Staline avec l’exigence de la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie ou l’écrasement des révoltes des pays satellites aspirant à la démocratie. À Budapest pour la Hongrie en octobre 1951, tandis que Staline régnait encore en maître absolu, puis à Berlin à l’été 1961 avec la construction du Mur et, enfin, à Prague en août 1968 où les chars soviétiques mirent fin au Printemps tchécoslovaque. Pour Poutine, l’absence de répression en 1989 lors de la chute du Mur entraînant, en moins de deux ans, la dislocation de l’URSS reste un traumatisme profond. Avec la guerre non déclarée qu’il mène à l’Ukraine, il s’agit bien de redessiner les frontières de l’Europe, reconquérir l’espace soviétique et, à terme, effacer l’Union européenne.
Avec une Ukraine épuisée moralement et concrètement, et certains États européens enclins à des concessions pourvu que la « paix » revienne vite, le Kremlin veut imposer son rapport de force pour être en position d’imposer sa vision en espérant s’appuyer sur la nouvelle administration Trump, celui-ci ayant encore déclaré ce week-end sa volonté de trouver un arrangement (en anglais dans le texte). Paris et Londres ont par contre souligné leur volonté, appuyée par la Pologne et d’autres partenaires européens, de poursuivre leur soutien à Kiev, y compris dans le domaine militaire.
Malgré les frappes continuelles des missiles et des drones russes sur l’ensemble du territoire, l’objectif militaire de l’Ukraine est désormais assez simple : tenir. Tenir sur la ligne de front en essayant d’infliger un maximum de pertes aux troupes russes et peut-être, demain, nord-coréennes. Tenir sur le plan de la société civile alors même que l’usure est là et que le recrutement de combattants est difficile. Tenir sur le plan économique avec l’aide de l’Union européenne… Tenir autant que nécessaire, en attendant…
En attendant la mise en place de l’administration Trump, en espérant que celle-ci comprenne les enjeux du conflit, ceux-ci dépassant bien largement le simple cadre russo-ukrainien. En attendant que la Russie elle-même s’épuise, même si elle dispose d’une profondeur stratégique sans équivalent, avec l’impact de plus en plus réel de difficultés économiques dont la chute du rouble. En attendant que Pékin fasse pression sur Moscou pour éviter une escalade incontrôlée au détriment de la stabilité indispensable pour l’économie chinoise – sans empêcher pour autant la Chine d’être un compétiteur stratégique retors. En attendant que l’UE accélère sa mutation et comprenne que sa sécurité se joue sur le front ukrainien et qu’il est nécessaire et urgent de poursuivre et d’augmenter l’effort de défense entamé depuis 2022.
Néanmoins, ces « en attendant » ne parviendront pas à épargner les souffrances des soldats sur la ligne de front, y compris pour les fantassins russes, nord-coréens et peut-être yéménites employés comme « chair à canon » par Poutine, avide d’obtenir sa victoire à tout prix. Et bien sûr la population ukrainienne qui subit au quotidien les coupures d’électricité et d’eau alors que l’hiver est bien là, sans oublier leurs fils, pères, mères ou sœurs au combat. Il y a urgence à trouver une voie vers une « paix juste et durable » mais pas à n’importe quel prix et notamment en ne créant pas par défaut les conditions pour relancer la guerre d’ici quelques années. La question n’est pas de donner des garanties de sécurité à Moscou, mais bien de donner ces garanties à l’Ukraine et à nos partenaires à l’est de l’Europe et que celles-ci soient robustes, fiables et inscrites dans la durée face à une Russie qui, quoiqu’il arrive, restera une puissance déstabilisatrice. ♦