Lars Wedin revient sur les récents événements en mer Baltique, la rupture d'un lien dans la mer Baltique, en pleine guerre en Ukraine et alors que la Russie mène une guerre hybride contre ses adversaires stratégiques et que la mer Baltique et les câbles sous-marins constituent un point stratégique dans la compétition internationale.
Guerre hybride au fond de la mer Baltique ? (T 1658)
(© Adobe Stock / généré par IA)
Hybride war at the bottom of the Baltic Sea?
Lars Wedin looks back at recent events in the Baltic Sea, the severing of a link in the Baltic Sea, in the midst of the war in Ukraine and while Russia is waging a hybrid war against its strategic adversaries and the Baltic Sea and submarine cables are a strategic point in international competition.
La guerre des mines a commencé lorsque la marine britannique a repêché une « machine de l’enfer » au large de Cronstadt en 1855. Le premier câble transatlantique a été posé entre l’Irlande et la Nouvelle-Terre en 1866. La première attaque contre un tel câble a eu lieu en 1898, lorsque les États-Unis ont coupé le câble espagnol vers Cuba. La première interception connue, l’« attaque de pirates informatiques », a eu lieu en 1917 lorsque les Alliés ont pu lire le télégramme dit « Zimmerman » sur le câble entre le Mexique et l’Allemagne. La guerre des fonds marins dure donc depuis plus de cent ans. Pourtant, ce n’est que récemment que l’on a pris conscience de la menace qui pèse sur cette infrastructure stratégiquement vitale. L’attaque des gazoducs Nord Stream I et II en septembre 2022 nous a ouvert les yeux.
Les attaques contre les infrastructures sous-marines ont fait l’objet d’une attention particulière dans la mer Baltique, en raison d’un certain nombre de dommages très médiatisés causés à des câbles et à des pipelines.
Pourquoi la mer Baltique ? Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles est que la profondeur de l’eau est assez faible – 60 mètres en moyenne – il est donc beaucoup plus facile d’accéder aux infrastructures sur le fond marin ici que dans les océans plus profonds. D’autre part, la mer Baltique est traversée par un grand nombre de câbles de transmission de données, de câbles électriques et de gazoducs. Troisièmement, il est facile de considérer ces dommages – ou ces attaques – comme faisant partie d’une guerre hybride de la Russie contre les intérêts occidentaux et comme une partie de sa guerre contre l’Ukraine. L’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan en 2024 pourrait être un facteur.
Infrastructures existantes
Les câbles électriques sous-marins relient les réseaux électriques des États régionaux entre eux et avec le continent. Ils font partie du réseau électrique européen, European Network of Transmission System Operators. Les câbles sous-marins relient la Suède à la Finlande, la Finlande à l’Estonie, la Suède à la Lituanie, la Suède à la Pologne, la Suède à l’Allemagne, la Suède au Danemark, le Danemark à l’Allemagne et le Danemark à la Norvège. L’île suédoise de Gotland, stratégiquement importante (1), est reliée au continent par deux pipelines, tandis qu’un autre est en construction (2).
Il existe également un très grand nombre de câbles de transmission de données. Ceux-ci relient la Finlande à l’Estonie, la Suède à tous les autres pays de la mer Baltique et au Danemark, la Finlande à l’Allemagne, le Danemark à la Norvège, la Finlande à la Russie et Saint-Pétersbourg à Kaliningrad. Le réseau est particulièrement dense entre la Finlande, la Suède et l’Estonie.
Outre Nord Stream entre la Russie et l’Allemagne, il existe un certain nombre d’autres gazoducs : Allemagne-Danemark-Suède, Finlande-Estonie, Danemark-Pologne, Danemark-Suède. Enfin, il ne faut pas oublier qu’il reste peut-être 50 000 mines dans la mer Baltique depuis les deux guerres mondiales. En outre, il existe au moins un site en mer Baltique où des agents de guerre chimique ont été déversés (Gotland Deep, entre Gotland et la Lettonie). Le nombre d’épaves est élevé.
Que s’est-il passé ?
Le dimanche 8 octobre 2023, le gazoduc Balticconnector entre la Finlande et l’Estonie a été fermé à la suite d’une chute de pression. À peu près au même moment, les câbles de données entre la Finlande et l’Estonie et entre la Suède et l’Estonie ont été endommagés.
Le porte-conteneurs chinois NewNew Polar Bear est rapidement suspecté, car il s’est déplacé au-dessus des zones concernées le 8 octobre et a également perdu son ancre. Le 13 août 2024, les autorités finlandaises ont conclu que le NewNew Polar Bear avait causé les dommages au gazoduc. Pékin a reconnu le 12 août que le navire était responsable de l’incident du gazoduc, dont la remise en service a nécessité des mois de travail. Le rapport du gouvernement chinois décrit l’incident comme un « accident » causé par le mauvais temps et non comme un sabotage délibéré.
Aucun navire n’a été associé à l’endommagement des câbles de données, mais tout porte à croire que le NewNew Polar Bear en est également à l’origine.
Dans la nuit du 17 au 18 novembre 2024, le câble de données C-Lion 1 s’est rompu. Il relie Helsinki en Finlande à Rostock en Allemagne. Un câble entre la Suède et la Lituanie a également été endommagé.
Le navire chinois Yi Peng 3 a rapidement été identifié comme suspect. L’une des ancres du navire est gravement endommagée. Il a été suivi par la marine danoise et se trouve, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le 22 novembre, à l’ancre entre la Suède et le Danemark. Une enquête criminelle a été ouverte en Suède et la marine suédoise est sur place pour examiner la zone autour des câbles, qui se trouvent à une profondeur d’environ 100 mètres.
Bilan
Sabotage ou accident ? Il est impossible de le savoir sans avoir la possibilité d’interroger les équipages. Le système de surveillance maritime donne une bonne image des mouvements des quelque 4 000 navires actuellement en mer Baltique. Cependant, il ne peut évidemment pas fournir de détails. La théorie du sabotage est étayée par le fait que la Russie mène une guerre hybride contre l’Occident et qu’elle a été particulièrement active dans la région de la mer Baltique, notamment en perturbant le réseau GPS. Néanmoins, les dégâts pourraient aussi être dus à des accidents à bord : les navires chinois sont très négligents avec leurs ancres. Après tout, avec 50 000 mines au fond de la mer Baltique, la prudence est de mise.
Les événements ont donné lieu à diverses déclarations politiques qui s’inscrivent dans le cadre de la guerre hybride en cours. Le 19 novembre, le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, a exclu la possibilité de causes accidentelles pour les ruptures de câbles. Le ministre suédois de la protection civile, Carl-Oskar Bohlin, a déclaré que la situation était grave.
La vérité n’éclatera que difficilement ; mais cela fait également partie de la guerre hybride : répandre la peur et la suspicion.
22 novembre 2024
(1) Sur l’île de Gotland, lire : Wedin Lars, « Gotland, île stratégique », RDN, n°800, mai 2017, p. 139-145 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=21445&cidrevue=800) et Wedin Lars, « L’île de Gotland et la crise ukrainienne », RDN, Tribune n° 1362, 17 février 2022 (www.defnat.com/).
(2) Voir la carte du réseau de transport scandinave (www.svk.se/).