L'ambassadeur Bertrand Besancenot revient sur les dernières actualités au Liban et notamment après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. Il s'interroge sur le devenir du parti chiite, notamment sur le plan de la politique intérieure libanaise. En outre, l'auteur analyse ce que pourrait être la future politique au Moyen-Orient de Donald Trump, dont l'investiture aura lieu en janvier prochain.
Chroniques du Moyen-Orient – Israël-Liban : position du Hezbollah après le cessez-le-feu – Politique de Donald Trump au Moyen-Orient (T 1661)
Middle East Chronicles —Israel-Lebanon: Hezbollah's position after ceasefire —Donald Trump's politics towards Middle East
Bertrand Besancenot write about Lebanon's breaking news, particularly after ceasefire between Israel and Hezbollah. Asking about chiite party's future in Lebanese national politics. Furthermore, the author analyzes what could be President Trump's foreign policy in Middle East.
Après le cessez-le-feu au Liban, comment le Hezbollah peut-il s’adapter à la nouvelle donne ?
Il ne fait aucun doute que la fin des hostilités entre Israël et le Hezbollah ouvre la porte à une nouvelle étape de la vie politique au Liban. Que reste-t-il du Hezbollah ? Au cours des 14 derniers mois, le parti chiite a perdu son secrétaire général, des dizaines de ses commandants et des centaines de ses combattants ; sans parler de ses infrastructures et de son matériel militaire partis en fumée, ainsi que des dégâts estimés à plusieurs milliards de dollars dans ses fiefs au sud, dans la Békaa et dans la banlieue de Beyrouth. Enfin, son image d’acteur capable de dissuader Israël et de l’empêcher de s’en prendre au Liban a subi des dommages difficilement réparables. Un terne bilan qui a de quoi changer significativement le Hezbollah, et notamment remettre en question son hégémonie sur la vie politique libanaise.
Le parti en semble conscient. Il est en train de mener un exercice de révision interne pour déterminer les erreurs qui ont été faites dans le passé. Des députés du Hezbollah disent qu’une fois la guerre terminée, tous les points de désaccord, y compris les armes, seraient sur la table. Dans la même logique, le chef du bloc parlementaire de la « Fidélité à la résistance », Mohammad Raad, a publié une tribune dans le quotidien al-Akhbar dans laquelle il affirme que « la résistance n’est pas fermée à la discussion sur la souveraineté nationale ». Le député, pourtant un faucon au sein de son camp, a même ouvert la porte à un « dialogue national » pour « proposer des alternatives » à l’équation « peuple, armée, résistance ». Longtemps une ligne rouge, ce triptyque est tamponné sur toutes les déclarations ministérielles depuis des années pour donner une certaine légitimité aux armes du Hezbollah.
Un Hezbollah plus consensuel ?
Le nouveau secrétaire général du parti, Naïm Kassem, qui a succédé à Hassan Nasrallah, avait les yeux rivés sur l’après-guerre lors de sa dernière allocution. Il y affirmait que « les démarches de la formation sur le plan interne s’inscrivent dans le cadre de l’accord de Taëf », en référence au texte qui a mis fin à la guerre civile et qui prévoit un système parlementaire démocratique, mais aussi le désarmement des milices. Il a également réitéré l’attachement de son parti à la Constitution et affirmé qu’il allait « contribuer activement à l’élection d’un président de la République », une échéance que le Hezbollah et ses alliés bloquent depuis plus de deux ans, dans une tentative de faire élire leur favori, le leader des Marada, Sleiman Frangié.
Que disent ces signes d’ouverture sur le Hezbollah de demain ? Déjà, cela laisse entrevoir qu’il ne jouera plus la carte du blocage politique comme il l’a souvent fait ces dernières années. Cela est non seulement dû à son affaiblissement en raison de la guerre, mais aussi au fait que, pour couvrir la facture salée de la reconstruction, la formation pro-iranienne aura sans doute besoin des pays arabes, auxquels il faudra faire des concessions sur les principaux dossiers politiques. Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, entamé en mars 2023, devrait l’aider dans sa mission. Le Hezbollah aurait également intérêt à éviter d’exacerber la polarisation politique en cours, notamment pour éviter des troubles internes qui compliqueraient encore plus sa situation et impliqueraient probablement une intervention des puissances arabes et occidentales.
Les propos du président de la Chambre et allié proche du parti, Nabih Berry, qui a appelé à l’élection d’un « président qui ne serait un défi pour personne », viennent confirmer cette trajectoire consensuelle. « Ce moment est un test pour tous les Libanais, toutes confessions confondues, mais surtout pour les chiites, afin qu’ils sauvent leur pays et protègent les institutions constitutionnelles. », a-t-il ajouté, avant de se féliciter d’avoir « fait échouer les plans israéliens ».
Et les armes ?
Rien que le fait que ce soit M. Berry (et non Naïm Kassem) qui ait prononcé le « discours de victoire » est un indicateur important sur le recul du rôle du Hezbollah dans cette nouvelle configuration politique. Nabih Berry est devenu le principal leader chiite Certes, le Hezbollah reste assez populaire, mais son nouveau chef peut difficilement prétendre à la même stature que le chef du Parlement, un as de la politique disposant d’une base partisane solide. D’autant qu’il souffre d’un déficit de charisme et, vraisemblablement, d’un défi de légitimité en interne. Hassan Nasrallah arrivait à faire l’unanimité au sein du parti, notamment entre les différentes factions et même avec des indépendants qui lui sont proches. Naïm Kassem, lui, peut difficilement faire de même et cela risque d’être un défi pour lui et le Hezbollah. L’aile militaire et l’aile politique du parti ont, par exemple, parfois des positions contradictoires, sans parler des divisions entre les factions régionales. De quoi fragiliser la cohésion interne mais aussi le pousser à opter pour une politique plus prudente avec les autres protagonistes.
Qu’en sera-t-il alors de la question la plus épineuse : celle des armes du Hezbollah ? De plus en plus rejetées par les différents protagonistes, elles restent toutefois la raison d’être du parti. Sans elles, il perdrait sa capacité d’intimidation en interne et ne serait plus d’une grande utilité au parrain iranien. Toutefois, l’accord de cessez-le-feu limite de facto sa capacité à se réarmer puisqu’il prévoit une surveillance accrue de la part des États-Unis et d’Israël de toute éventuelle menace envers celui-ci, en plus d’un contrôle (par la force des bombardements) de la frontière avec la Syrie. La création d’un comité de surveillance, dirigé par les Américains, avec la participation des Français, n’arrange rien pour le Hezbollah, qui sera empêché de reconstruire ses capacités au Sud-Liban, le mettant donc face à un paradoxe : comment « résister » à Israël et « libérer les territoires occupés »… à distance ?
Dans la pratique, l’accord va pacifier pour un temps le front du Sud-Liban ; mais quand bien même il serait amputé de sa principale fonction, on voit mal le parti chiite se diriger vers un abandon total de son arsenal, même amoindri. On peut toutefois tabler sur une ouverture, qui pourrait conduire à l’adoption d’une stratégie de défense nationale. L’arsenal du Hezbollah n’échapperait alors plus complètement au contrôle de l’État, dont le Hezbollah a besoin (comme l’Iran, d’ailleurs) pour se protéger des éventuelles retombées de l’administration américaine à venir. Celle de Donald Trump, qui pourrait ramener à la Maison-Blanche avec lui sa politique de pression maximale vis-à-vis de Téhéran.
La politique de Donald Trump au Moyen-Orient se précise
Le futur conseiller Moyen-Orient du président Trump, Massad Boulos, riche homme d’affaires d’origine libanaise et père d’un des gendres du président, a, dans un entretien au Point, donné des indications intéressantes sur les orientations de la diplomatie de la nouvelle administration américaine dans la région.
L’objectif immédiat est clair : obtenir des cessez-le-feu au Liban – déjà en cours – et à Gaza, mais aussi en Ukraine, ce qui conforterait l’image d’« homme de paix » du nouveau président. Il y a, cependant, une volonté d’aller au-delà : « atteindre une paix durable au Moyen-Orient », car la priorité pour les États-Unis est ailleurs, dans la compétition avec la Chine ; ce qui implique de se désengager partiellement du Moyen-Orient – comme de l’Europe – en s’appuyant sur ses alliés dans la région. Alors, comment se déclinerait cette politique ?
Au Liban
Les Américains entendent, après la signature de l’accord de cessez-le-feu, veiller à la mise en œuvre effective de l’accord, grâce au comité de surveillance en cours d’installation. Cela n’exclut pas un « droit de se défendre » en cas de violation, qui est d’ailleurs inscrit dans l’accord. Ils souhaitent également faire en sorte que l’armée libanaise soit déployée au Sud-Liban et pour contrôler les flux d’armes en provenance de l’Iran (à l’aéroport et au port de Beyrouth, mais aussi à la frontière syrienne).
Les Américains souhaitent, par ailleurs, favoriser l’élection sans délai d’un président de la République bénéficiant d’un soutien suffisamment fort pour mener à bien la réforme des institutions et de l’économie libanaises. Pour ce faire, ils prévoient le désarmement des milices – notamment du Hezbollah – en application des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. Un tel programme impliquera naturellement un renforcement significatif de l’armée libanaise, grâce à l’aide internationale (occidentale et du Golfe).
À Gaza
Dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas à Gaza, l’objectif américain est de parvenir à un cessez-le-feu « temporaire » permettant la libération des otages en échange de celle de prisonniers palestiniens, avec l’aide de l’Égypte, de la Jordanie, du Qatar et de la Turquie (où résident des dirigeants du Hamas). La négociation est en cours mais butte encore sur la liste des prisonniers palestiniens susceptibles d’être libérés.
Les Américains visent, par ailleurs à définir avec les Saoudiens une « feuille de route qui aboutirait à un État palestinien ». La négociation promet d’être serrée, d’où l’intérêt – commun avec les pays du Golfe – de la proposition française d’une conférence à Paris en juin 2025 sur la solution de deux États.
La question iranienne
La future administration Trump tend à reprendre la politique de « pression maximale » par de nouvelles sanctions contre l’Iran, en profitant de l’affaiblissement actuel du pays – situation économique désastreuse, opposition intérieure, pertes subies par ses « proxies » dans la région… – non pour promouvoir un changement de régime à Téhéran, mais pour parvenir à un nouvel accord nucléaire excluant totalement l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire.
En outre, les États-Unis souhaiteront élargir la négociation avec Téhéran aux autres sujets de préoccupation que sont le programme iranien de missiles balistiques – qui menace tant Israël que les alliés du Golfe – et l’activité déstabilisatrice des milices chiites au Moyen-Orient (Irak, Liban, Syrie et Yémen).
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En résumé, la politique du futur Président Trump au Moyen-Orient ne correspond pas à une volonté de guerre, contrairement à ce qui est parfois dit. En effet les États-Unis ne souhaitent pas s’impliquer dans une nouvelle opération militaire dans la région, en l’occurrence en Iran.
Le nouveau président voudra toutefois démontrer sa capacité à mettre en œuvre ses objectifs dans la région : marquer son ferme soutien à Israël, pour assurer sa sécurité mais pas pour se laisser entraîner dans une confrontation militaire avec l’Iran ; profiter de l’affaiblissement du Hezbollah pour restaurer l’État libanais ; définir avec l’Arabie saoudite une formule sur le règlement de la question palestinienne à la fois acceptable aux Palestiniens et permettant une normalisation des relations entre te royaume et Israël, ses deux principaux alliés dans la région ; et, enfin, négocier en position de force avec l’Iran des arrangements sur le nucléaire, le programme balistique et l’action de ses « proxies » au Moyen-Orient.
Personne ne se fait d’illusion sur la difficulté de la tâche, mais celle-ci est compatible avec les objectifs français. Nous aurons cependant d’autant plus de poids auprès de l’administration Trump que nous nous coordonnerons avec nos amis dans la région, comme vient de le démontrer le succès de la visite du président de la République à Riyad. ♦