L’OSCE a tenu son conseil ministériel annuel à Malte les 5 et 6 décembre derniers. Les 57 États participants sont parvenus à nommer les quatre membres de l’équipe dirigeante de l’organisation ; le précédent conseil ministériel de Skopje, en 2023, n’avait pu prendre qu'une décision provisoire. En revanche aucune décision sur le budget de l’organisation et sur les présidences de 2026 et 2027 n’a pu être arrêtée.
Conseil ministériel de l’OSCE 2024 : un meilleur cru (T 1663)
© OSCE / Flickr
OSCE Ministerial Council 2024: A Better Vintage
The OSCE held its annual Ministerial Council in Malta on 5-6 December. The 57 participating States managed to appoint the four members of the organisation’s leadership team; the previous Ministerial Council in Skopje in 2023 could take only a provisional decision. However, no decision could be taken on the organisation’s budget and on the chairmanships for 2026 and 2027.
Depuis le 24 février 2022, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) vit ou, selon certains, survit dans une sorte d’apesanteur résultant d’un décalage surréaliste entre deux niveaux opératifs. D’une part, les deux instances de décision que sont le conseil permanent et le forum pour la coopération en matière de sécurité restent polarisés par l’agression russe en Ukraine ; aucune décision d’importance ne peut y être prise, faute de consensus et la courtoisie diplomatique a cédé le pas depuis l’offensive russe à la pratique de l’apostrophe. D’autre part, les autres composantes exécutives de l’OSCE que sont les institutions et les missions de terrain s’efforcent de conduire leurs activités comme si de rien n’était, « business as usual », selon l’expression consacrée…
C’est dans ce climat incertain que l’OSCE a réuni son 31e conseil ministériel les 5 et 6 décembre 2024 à La Valette (Malte). Le conseil ministériel est la plus haute instance dirigeante de l’OSCE et se réunit une fois par an en fin d’année calendaire sous l’autorité de la présidence sortante. Cette année, le conseil se tenait au lendemain d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Otan à Bruxelles en présence de leur homologue ukrainien, Andrii Sybiha ; le sujet central des discussions était l’aide occidentale à apporter à l’Ukraine.
Des décisions adoptées, ou non…
On se souvient que l’an dernier la désignation de Malte comme présidence annuelle tournante de l’OSCE pour 2024 avait donné lieu à de très âpres négociations. La décision avait été obtenue « à l’arraché » très peu de temps avant le 30e conseil ministériel de Skopje (Macédoine du Nord) en novembre-décembre 2023. Le conseil avait ensuite entériné cette décision et avait accordé une prolongation de neuf mois, au lieu des trois ans proposés, aux quatre chefs d’institutions de l’OSCE dont le mandat arrivait à terme : la secrétaire générale, le directeur du bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme, le haut-commissaire aux minorités nationales et la représentante pour la liberté des médias. Aucune décision n’étant intervenue entre-temps, le mois de septembre dernier a ainsi vu ces quatre hauts responsables quitter leurs fonctions et être remplacés par leurs adjoints respectifs, ou ce qui en tient lieu, nommés par la présidence maltaise. Les efforts de celle-ci pour prévenir une vacance de direction n’ont pas été couronnés de succès en temps et heure. Les propositions présentées par la présidence durant l’été n’avaient pas rencontré le consensus nécessaire, notamment du fait de la Turquie et de la Grèce qui souhaitaient placer leurs candidats. Les quatre institutions étaient ainsi restées sans leadership jusqu’à une hypothétique décision. Celle-ci s’est progressivement dessinée durant les derniers jours précédant le conseil ministériel de La Valette et a obtenu le consensus le 2 décembre 2024. La décision a finalement été confirmée à Malte au grand soulagement de tous. Feridun Sinirlioglu (Turquie), Maria Telalian (Grèce), Christophe Kamp (Pays-Bas) et Jan Braathu (Norvège) ont ainsi été nommés respectivement secrétaire général, directrice du bureau des institutions démocratiques et de droits de l’homme, haut-commissaire aux minorités nationales et représentant pour la liberté des médias.
Une autre décision importante était attendue : la désignation du pays qui assurera la présidence en 2026, à la suite de la présidence finlandaise déjà décidée depuis plusieurs années. En effet, Helsinki souhaitait assurer la présidence de l’OSCE au moment du cinquantième anniversaire de l’Acte final d’Helsinki (1975), document fondateur de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui allait devenir l’OSCE le 1er janvier 1995. Pour succéder à la Finlande, la Suisse avait manifesté son intérêt et la République de Chypre s’était proposée pour 2027. Cela aurait permis à Helsinki d’assurer sa présidence avec sérénité quant à son successeur et le principe de la troïka (présidence sortante, présidence actuelle et future présidence) qui assure la continuité aurait été respecté. Ces deux décisions n’ont pas été adoptées à La Valette, mais pourraient l’être prochainement dans le cadre d’un conseil permanent.
Il est de tradition que l’État assurant la présidence de l’OSCE organise et accueille la réunion du conseil ministériel. Pour l’an prochain, la Finlande a sollicité l’Autriche pour que le conseil puisse se réunir à Vienne. Cette décision répond à des considérations économiques, écologiques et logistiques mises en avant par la présidence entrante. Toutefois, il est plus vraisemblable que la dimension politique ait été prédominante. Il n’est pas certain que la Finlande souhaite devoir accueillir une délégation russe sur son sol, éventuellement menée par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. La décision de tenir le prochain conseil ministériel à Vienne les 4 et 5 décembre 2025 a été actée par le conseil. La Finlande a, par ailleurs, informé qu’un événement particulier sera organisé chez elle pour le cinquantenaire de l’Acte final d’Helsinki.
Quant à la question récurrente du budget annuel de l’organisation, elle n’a pas reçu de réponse alors que celui-ci reste dans une impasse depuis 2021 ; courant 2024, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont bloqué la décision (1). Il en résulte que l’OSCE fonctionne depuis lors sans budget adopté par les États mais sur la base d’un canevas budgétaire datant de 2021. Toutefois, cette difficulté n’est pas insurmontable quant au fonctionnement de l’OSCE, mais elle produit des effets délétères et collatéraux. L’absence de budget annuel handicape les institutions qui n’ont pas de marge de manœuvre pour adapter leurs activités et leurs priorités à l’évolution de l’environnement et elles manquent de visibilité, même pour le court terme. La grande majorité des États paient leur écot de sorte que le secrétariat et les autres institutions peuvent fonctionner, mais sur un mode précaire. En parallèle, les projets financés par des contributions volontaires ne sont pas affectés par le problème évoqué ci-dessus. Cela permet à certains États d’instrumentaliser l’OSCE au profit de leurs intérêts particuliers et sur des questions catégorielles tout en contournant la contrainte du consensus. L’OSCE est ainsi devenue au fil des ans une « usine à projets » qui profite à certains pays participants. On est alors très loin de l’esprit d’Helsinki et du principe d’indivisibilité de la sécurité et des droits humains.
Par un étrange jeu de tiroirs, l’agression russe de l’Ukraine a remis l’OSCE, avec ses États-membres, dans son rôle originel, celui d’œuvrer et de contribuer à la paix, à la sécurité et à la justice au sein de son espace tel que l’Acte final d’Helsinki le dispose (2). On ne rappellera jamais assez que l’OSCE constitue essentiellement et, avant tout, un forum de discussions et d’échanges politico-diplomatiques, dont l’utilité et la pertinence ont été démontrées de longue date.
À cet égard, il faut souligner que ce 31e conseil ministériel, ainsi que les conseils permanents hebdomadaires, rassemblent autour de la même table tous les acteurs directement impliqués dans cette guerre et faisant partie de l’OSCE (3). Celle-ci reste ainsi la dernière plateforme internationale, hors Nations unies, où les parties belligérantes se rencontrent. Aujourd’hui, il s’agit de l’élément fondamental de valeur ajoutée de l’OSCE. Néanmoins, réunion ne signifie pas dialogue…
La participation russe
Côté russe, le ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, avait reconnu avant le conseil que « l’OSCE traverse une grave crise profonde à laquelle il n’est pas sûr qu’elle survive » (4). Selon lui, cette crise est le fait d’un sentiment profondément antirusse qui anime particulièrement certains diplomates occidentaux et qui affecte le fonctionnement de l’organisation. Il n’en demeure pas moins que la Russie n’a jamais souhaité quitter l’OSCE ; elle continue d’y siéger et n’a pas bloqué les nominations mentionnées précédemment.
Après le refus de la Pologne en 2022 de recevoir le ministre russe au conseil ministériel et le psychodrame de l’an dernier à Skopje durant lequel son avion avait manqué d’être interdit, le ministre Lavrov a pu participer au 31e conseil ministériel. Malte lui a envoyé une invitation, comme à tous les autres ministres des États de l’OSCE (5), et accordé le droit d’entrée dans le pays, membre de l’Union européenne (UE) où Sergueï Lavrov fait l’objet de sanctions consécutivement à l’agression russe de l’Ukraine. Cette décision a été vivement critiquée principalement par la Pologne ; le protocole maltais a dû faire preuve d’imagination et de souplesse pour éviter les rencontres de couloir indésirables (6), alors que le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andrii Sybiha, était également présent, de même que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken. C’était la première fois depuis début 2022 que le ministre russe se rendait dans un pays de l’UE. En revanche, sa porte-parole, Maria Zakharova, qui devait l’accompagner s’est vu refuser un visa d’entrée à la suite de protestations de trois États-membres de l’UE, probablement les trois pays baltes (7).
Lors de la réunion du conseil – et sans surprise –, de nombreuses déclarations ont été empreintes d’animosité, de bellicosité et, au bout du compte, de vanité. Les intervenants se sont ingéniés à rappeler les principes de l’Acte final d’Helsinki auxquels ont souscrits tous les États présents. Les formules incantatoires n’ont pas manqué et la Russie est restée sur une position mêlant dénégations, rejet des accusations et provocations.
Éléments de contexte externe
La réunion du conseil ministériel s’est tenue alors que la capitale géorgienne, Tbilissi, connaissait depuis plus d’une semaine des manifestations, parfois violentes, contre le pouvoir en place. Celles-ci surviennent à la suite des élections parlementaires au résultat contesté et à une annonce par le Premier ministre du report des négociations d’adhésion à l’Union européenne. L’OSCE a émis des réserves sur la tenue de ces élections et sur le travail de la police dans le cadre des manifestations. Les événements en cours en Géorgie ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé en Ukraine durant l’hiver 2013-2014 et le mouvement Euro-Maïdan (8), alors que l’OSCE tenait son conseil ministériel à Kiev en décembre 2013.
Par ailleurs, les milieux diplomatiques bruissent de rumeurs concernant de possibles négociations de paix en Ukraine soutenue par l’Otan et l’UE (9). La nouvelle administration américaine, qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2025, n’a pas encore présenté ses options mais le président élu, Donald Trump, a déjà annoncé à plusieurs reprises qu’il réglerait cette affaire promptement. Dans cette perspective, une délégation ukrainienne a rencontré des membres de l’équipe du futur président à Washington le 4 décembre 2024 (10). Incidemment et le lendemain du conseil ministériel de l’OSCE, le président élu américain, Donald Trump, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, se sont rencontrés à Paris sous le patronage du président français, Emmanuel Macron.
Même si aucune perspective sérieuse ne semble se dégager du côté russe pour le moment (11), il n’est pas impossible que l’OSCE soit alors mise à contribution dans le cadre d’une tentative de sortie de crise ou de l’amorce d’un plan de paix encore très hypothétique. L’OSCE doit anticiper cette manœuvre. Il est en effet de nombreux domaines dans lesquels cette organisation dispose d’atouts et d’expérience à faire valoir. Sa présence à Kiev depuis 1994 et l’importante mission spéciale d’observation qu’elle avait déployée en Ukraine entre 2014 et 2022 lui confèrent une légitimité prolongée par le projet de soutien à l’Ukraine qu’elle a ouvert en 2023.
Conclusion
En dernière observation, le 31e conseil ministériel de l’OSCE a sauvé l’essentiel : la direction et la pérennité de l’organisation. La guerre russe en Ukraine, qui va bientôt atteindre le cap des trois ans, la hante plus que jamais ; elle en contamine et perturbe le fonctionnement et semble parfois l’inhiber. En dépit de toutes les difficultés rencontrées, l’organisation continue d’offrir aux États participants un lieu de rencontre politico-diplomatique incomparable qu’ils ne doivent pas sacrifier au nom d’une approche de court terme ou sur la base d’intérêts particuliers. La sécurité collective nécessite une vue et une appréhension collective. ♦
(1) « Russia’s Lavrov and US’s Blinken set to attend OSCE meeting », Reuters, 5 décembre 2024 (www.reuters.com/).
(2) Acte final d’Helsinki, chapitre I, « Déclaration sur les principes guidant les relations entre États participants ».
(3) Cela exclut la Corée du Nord, soutien de la Russie et présente dans cette guerre principalement par le contingent de combattants qu’elle y a envoyé.
(4) « OSCE faces deep crisis it may not overcome —Lavrov”, TASS, 7 novembre 2024 (https://tass.com/).
(5) « Russia among countries invited to OSCE Ministerial Council —chair », TASS, 2 novembre 2024 (https://tass.com/world/1866385).
(6) « Poland objects to Lavrov’s presence in Malta », Times of Malta, 3 décembre 2024, (https://timesofmalta.com/).
(7) « Malta revokes visa for Russia’s foreign affairs ministry spokesperson », Times of Malta, 4 décembre 2024 (https://timesofmalta.com/article/malta-revokes-visa-russia-foreign-affairs-ministry-spokesperson.1101994).
(8) Light Felix, « Many thousands rally to oppose Georgian government after break with EU », Reuters, 30 novembre 2024 (www.reuters.com/).
(9) Agence France Presse (AFP), « Sergueï Lavrov à Malte dès jeudi pour sa première visite dans l’UE depuis l’assaut russe contre l’Ukraine », L’Opinion, 4 décembre 2024 (www.lopinion.fr/).
(10) « Reuters : Une délégation ukrainienne a rencontré l’équipe de Trump », Ukrinform, 5 décembre 2024 (www.ukrinform.fr/).
(11) « Senior Russian diplomat sees zero chance of compromise between Russia, Ukraine now », TASS, 4 novembre 2024 (https://tass.com/politics/1882405).