À la suite des événements récents ayant eu lieu en Syrie, les rebelles menés par le groupe Hay’at Tahrir al Cham (HTC) dont Abou Mohammed al-Jolani est à la tête ayant repris Damas et, partant, fait tomber le régime de Bachar el-Assad – mettant fin à plus de 10 ans de guerre et à près de 50 ans de dictature –, l'ambassadeur Bertrand Besancenot livre pour la RDN ses premières analyses de la situation.
Chroniques du Moyen-Orient – Première évaluation de la situation en Syrie (T 1664)
Du drapeau de la République arabe syrienne (régime des Assad) à celui de la République syrienne (depuis décembre 2024 après la prise de Damas par les rebelles et la chute de Bachar el-Assad)
Middle East Chronicles —First statement on Syria's situation
Following recent events in Syria, with rebels led by the Hayat Tahrir al Sham (HTS) group, led by Abu Mohammad al-Jolani, having retaken Damascus and thereby brought down the Bashar al-Assad regime —ending more than 10 years of war and nearly 50 years of dictatorship— Ambassador Bertrand Besancenot provides his first analyses of the situation for the RDN.
Tout le monde a été surpris par l’attaque du groupe HTC (Hay’at Tahrir al Cham), qui est une coalition de groupes insurgés sunnites islamistes, et surtout par la rapidité de sa progression vers Damas, comme de la chute du régime de Bachar el-Assad. Or, cette opération devait être préparée depuis un certain temps, et les insurgés ont eux-mêmes peut-être été étonnés par leurs propres succès. Cela s’explique par le débandement de l’armée syrienne, qui trahit l’ampleur de la crise économique dans le pays et le fait que le régime ne tenait que par l’appui militaire de la Russie et de l’Iran, aujourd’hui eux-mêmes en difficulté.
Il est aussi clair que Bachar el-Assad, habitué à ne pas respecter ses engagements, s’est trompé sur Recep Tayyip Erdogan. En refusant de discuter avec le président turc d’un arrangement avec l’opposition syrienne – permettant un retour dans leur pays de millions de réfugiés syriens en Turquie –, il a donné un prétexte au président Erdogan pour régler le problème autrement, en donnant son feu vert et sans doute son appui à l’opération de HTC, au moment où le soutien russo-iranien était devenu défaillant. La prise de Damas est, en outre, un échec majeur pour la Russie, reflétant son épuisement dans le conflit avec l’Ukraine. Moscou va certainement tenter de préserver sa base navale à Tartous, importante pour son action en Méditerranée. Il faut néanmoins s’attendre à ce que l’image de l’appui russe à ses amis prenne un coup et que cela ait un impact ultérieur, notamment en Afrique.
La victoire rapide de l’opposition syrienne est aussi un coup terrible porté à « l’axe de la résistance » dirigé par l’Iran. Après l’affaiblissement significatif des capacités du Hamas et du Hezbollah du fait des bombardements israéliens, c’est probablement la rupture de « l’arc de cercle chiite » au Levant et la fin de l’approvisionnement en armes de l’Iran à ses proxies dans la région (sauf en Irak voisin). Téhéran a perdu sa capacité de dissuasion envers Israël et il est probable que l’on assiste à un reflux de l’influence iranienne au Moyen-Orient.
Pour le Liban c’est sans aucun doute une bonne nouvelle : avec l’affaiblissement du Hezbollah et l’élimination du régime Assad en Syrie, un nouvel équilibre politique peut se mettre en place, commençant par l’élection d’un nouveau président de la République. En outre, les réfugiés syriens au Liban, pour la plupart sunnites, vont pouvoir rentrer dans leur pays, allégeant le fardeau qu’ils représentaient pour le pays du Cèdre. C’est aussi un nouveau succès pour le Qatar, ennemi juré d’Assad et allié d’Erdogan. Ses bonnes relations avec Jolani, chef du HTC, vont lui permettre de jouer un rôle dans le dialogue qui va s’engager avec les nouvelles autorités de Damas. Les Saoudiens, qui avaient renoué avec Damas, ne regretteront pas Assad qui n’a pas mis un terme au trafic du Captagon – touchant une partie de la jeunesse saoudienne – et ne peuvent que se réjouir du reflux de l’influence iranienne dans la région, même s’ils tiennent à conserver le dialogue avec Téhéran.
Naturellement personne ne pleurera la disparition de la dictature Assad, qui a montré sa cruauté et son absence de fiabilité, mais il est légitime de s’interroger sur la politique que mènera le nouveau régime syrien. Quelles seront ses relations avec les Kurdes ? avec les Alaouites ? avec Daech, toujours présent dans l’est du pays ? quelle sera l’influence d’Erdogan sur la nouvelle Syrie ? et que seront les rapports de Damas avec Israël ? Il est trop tôt pour répondre à ces questions.
On dit que Jolani, issu d’Al-Qaïda, a changé… Les Occidentaux seront en tout cas vigilants sur la question du respect des minorités. Si c’est le cas, le changement de régime est une bonne nouvelle pour la Syrie et sans doute pour une stabilisation de la région. ♦