Après la prise de fonction d'Ahmed al-Charaa comme président de la République syrienne, le géopolitologue spécialiste de la Chine au Moyen-Orient et dans le monde arabe analyse les liens entre Pékin et Damas pendant la dictature des Assad et depuis la prise de pouvoir du groupe HTC. Si de nombreux commentaires ont été faits par rapport aux liens de la Russie et de l'Iran avec la Syrie, la Chine est, de son côté, un acteur devenu indispensable dans la région, pour des raisons économiques, politiques et sécuritaires.
China and developments in Syria: beyond preconceived ideas
After Ahmed al-Sharaa took office as President of the Syrian Republic, geopolitical scientist Didier Chaudet, specialist in China in the Middle East and the Arab world, analyzes the links between Beijing and Damascus during the Assad dictatorship and since the HTC group took power. While many comments have been made about Russia and Iran's links with Syria, China, for its part, has become an indispensable player in the region, for economic, political and security reasons.
La chute de Bachar el-Assad a pris l’Occident par surprise ; mais elle aura également des conséquences sur les intérêts d’un acteur devenu indispensable au Moyen-Orient : la Chine. Et l’impact ne sera pas forcément négatif : en fait, la Chine pourrait sortir gagnante des récents événements syriens.
La chute d’Assad n’est pas une défaite pour la Chine
La chute du régime de Bachar el-Assad serait un problème pour la Chine si ce pays s’était positionné comme un soutien et partenaire privilégié du régime baasiste. Or, ce n’était pas le cas. Certes, un accord a été signé lors de la visite de Bachar el-Assad en Chine en septembre 2023, faisant de la Syrie un partenaire stratégique de Pékin. Néanmoins, seize des vingt-deux membres de la Ligue arabe ont exactement le même statut, y compris des pays qui se sont opposés au régime aujourd’hui déchu. Un partenariat stratégique n’est pas une alliance, c’est surtout la confirmation d’une relation cordiale, une parmi d’autres dans la région. Par ailleurs, d’un point de vue économique, le rapport chinois à la Syrie restait limité : les investissements et contrats associés à des projets de construction notamment s’élevaient à 4,6 milliards de dollars ; et ils avaient été initiés avant la guerre civile. La somme peut sembler importante : elle est bien moins impressionnante quand on la compare à d’autres. Ainsi, l’Iran a investi entre 30 et 50 milliards de dollars en Syrie ces treize dernières années (1). Malgré la position géographique avantageuse de la Syrie dans la logique des Nouvelles routes de la soie chinoises ou Belt and Road Initiative (BRI), la guerre civile l’a empêché d’être sérieusement associée au projet. Cela n’a été le cas, officiellement, qu’à partir de 2022, et de fait, un pays encore rongé par la guerre civile ne pouvait être une option intéressante pour les investisseurs chinois. En bref, en 2024, la Chine n’avait de relations privilégiées avec la Syrie d’Assad ni d’un point de vue diplomatique, ni d’un point de vue économique.
Les motivations de la politique chinoise sur le dossier syrien étaient transparentes depuis son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU d’octobre 2011 (devant condamner Damas pour sa répression des manifestations anti-Assad). Ici, la Chine s’alignait sur la Russie, mais pour deux raisons bien précises. Tout d’abord en réponse au précédent libyen : à Pékin, la résolution 1973 du 17 mars 2011, permettant une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, a été considérée comme une concession qui a été exploitée par les Américains et leurs alliés, pour provoquer un changement de régime. Cela a renforcé, en Chine, le désir de défendre diplomatiquement le principe de non-interférence dans les affaires intérieures des autres pays. La seconde motivation de Pékin était de répondre à l’opposition américaine contre la montée en puissance chinoise : il s’agissait de consolider une solidarité sino-russe de fait au Moyen-Orient, pouvant s’étendre, à l’avenir, à l’Asie-Pacifique.
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