Alors qu'Emmanuel Macron rencontre Donald Trump à la Maison Blanche au sujet de l'Ukraine et du rôle que l'Europe peut et doit jouer dans les relations russo-ukrainiennes post-conflit, l'ambassadeur Besancenot s'interroge sur la manière dont on doit traiter avec le président des États-Unis. Pas une seule journée ne se passe, depuis son investiture, le 20 janvier dernier, sans une nouvelle annonce fracassante, tour à tour au sujet de Gaza, de l'Ukraine, puis du rôle de l'Europe, laissant ses interlocuteurs parfois sans voix.
Comment traiter avec le rouleau compresseur Trump ? (T 1688)
Donald Trump à Mar-a-Lago le 18 février 2025 (© White House / Flickr / CC-BY-SA / Gouvernement américain)
How to deal with the Trump steamroller?
As Emmanuel Macron meets Donald Trump at the White House on the subject of Ukraine and the role that Europe can and must play in post-conflict Russian-Ukrainian relations, Ambassador Besancenot wonders how one should deal with the President of the United States. Not a single day has gone by since his inauguration on January 20 without a new sensational announcement, in turn on the subject of Gaza, Ukraine, and then the role of Europe, sometimes leaving his interlocutors speechless.
Le monde entier s’attendait à un « rock and roll » avec la nouvelle administration américaine, mais pas à ce point ! Dès son entrée en fonction, le président Trump a, en effet, multiplié les décisions dans tous les domaines, sans la moindre retenue ni considération pour les règles de droit. Il s’est également entouré de personnages aux positions extrêmes, qui ont été eux-mêmes généreux en déclarations intempestives. La question que chacun se pose est donc de savoir si ces prises de position surprenantes (Canada, Groenland, Panama, Gaza, Ukraine, etc.) ont un caractère tactique – mettre la barre très haut pour obtenir le meilleur deal possible – ou s’il s’agit d’objectifs sérieux.
Ce qui est clair est que le président Trump ne masque pas qu’il veut être imprévisible pour désarçonner l’adversaire. Il a, néanmoins, des convictions fortes : l’intérêt américain est son seul critère de choix, sans aucun respect pour les alliances et engagements antérieurs des États-Unis. Son approche est également parfaitement mercantile : obtenir le meilleur deal possible, sans autre considération. Il n’a aucun souci d’éthique et seul compte le rapport de force. Enfin, il entend combattre les idées progressistes et « woke », ainsi que la bureaucratie en limitant le rôle de l’État et le nombre de fonctionnaires.
Dans ce contexte, que peut-on retenir de positif et de négatif dans cette politique pour nos propres intérêts ?
On ne peut, d’abord, que relever la volonté du président Trump d’agir plutôt que de discourir, contrairement aux pratiques européennes de déclarations souvent peu suivies d’effets. En outre, son langage « brut de décoffrage » a le mérite de faire bouger les choses et d’obliger les gens d’en face à réagir.
Par ailleurs, le discours de son vice-président, James David Vance, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, portant sur les limites de la liberté d’expression en Europe n’est pas totalement contestable quand on constate l’extension aujourd’hui d’une « pensée unique » qui a l’exclusion facile. On ne peut pas non plus nier que le président Trump prend en compte sérieusement les problèmes des politiques laxistes d’immigration et de la sécurité des citoyens, même si les mesures adoptées sont naturellement discutables. Il en va de même de son engagement ferme dans la lutte contre le terrorisme.
Cela étant, on ne peut que déplorer plusieurs aspects de sa politique :
• Son ignorance des réalités internationales et de l’histoire est légendaire, ce qui explique certaines propositions farfelues.
• De même, le simplisme des solutions qu’il préconise est patent, notamment sur les dossiers ukrainien et palestinien où il ne vise en réalité qu’à obtenir des cessez-le-feu sans solution durable.
• Il est clair aussi que le président Trump est insensible aux questions humanitaires et à l’environnement qui, jusqu’ici, sont des domaines prioritaires des politiques occidentales.
• Enfin, le cynisme de ses prises de position peut être considéré par les régimes autoritaires comme un encouragement indirect à violer les normes internationales et à appliquer sans vergogne la loi du plus fort.
Face à cette nouvelle donne et aux avances de Pékin qui se présente en héraut du multilatéralisme et de la liberté de commerce, il ne suffit pas de hurler ou de railler la goujaterie du nouveau locataire de la Maison Blanche. Il ne faut pas non plus se laisser aller au défaitisme et au contraire – comme l’a rappelé le président de la République aux ambassadeurs de France – agir en exploitant tous les atouts dont nous disposons.
Concrètement, les coups de butoir de Trump doivent être accueillis comme une sonnerie de réveil (« wake-up call ») nous alertant sur la nécessité d’agir sans délai pour prendre à bras-le-corps les réformes indispensables : réduction de la dette, réindustrialisation, renforcement de notre compétitivité dans les secteurs de pointe, renforcement de nos capacités de défense…
Cela signifie aussi que nous devons défendre nos intérêts sans inhibition ni naïveté face à nos concurrents ; mais également continuer à promouvoir les valeurs occidentales de démocratie et de la règle de droit, ainsi que le multilatéralisme pour établir une gouvernance mondiale plus équilibrée.
Cela étant, face à Donald Trump, nous n’avons désormais pas d’autre choix que de faire des deals. Ceux-ci seront les meilleurs pour nos intérêts si nous sommes crédibles, c’est-à-dire si les Européens sont enfin capables de se battre en commun pour optimiser leurs cartes. Il est en effet clair que nos divisions seront exploitées par nos concurrents et adversaires, et qu’il faudra faire preuve de détermination pour rattraper les erreurs passées dues à notre naïveté face à la Russie et à la Chine, ainsi que pour surmonter le handicap de décisions à 27 qui sont, par nature, difficiles. La dernière réunion de Munich a, à juste titre, affolé les Européens, qui prennent conscience de l’urgence à agir, tout en mesurant leur incapacité à répondre dans l’immédiat aux conséquences d’un accord américano-russe tragique pour l’Ukraine et la sécurité européenne, comme l’a montré la rencontre de Paris du 17 février entre dirigeants européens.
C’est pourquoi nous devons mieux prendre en compte les attentes des pays du Sud qui souhaitent être davantage considérés et entendus, et qui pratiquent désormais le pluri-alignement. Nous, Européens, avons une connaissance réelle des besoins de nos partenaires du Sud avec lesquels nous avons souvent des liens anciens. Il convient donc d’établir entre nos États – mais également entre nos entreprises – des partenariats plus équilibrés, afin d’éviter de tomber (eux et nous) dans un nouveau système bipolaire, cette fois-ci américano-chinois, qui n’est clairement pas dans notre intérêt. ♦