Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur les conséquences immédiates de la scène inédite qui a eu lieu vendredi dernier dans le Bureau ovale de la Maison Blanche : la fin de la diplomatie entre l'Ukraine et les États-Unis, qui étaient pourtant leurs principaux soutiens depuis trois ans. Donald Trump et son Vice-président J. D. Vance a renoncé à l'art des négociations pour tenir le vocable du Kremlin. Cela a donné lieu à un brutal réveil européen et au retour sur le devant de la scène de l'Entente cordiale, la France et l Royaume-Uni cherchant à prendre le leadership sur le Vieux continent, alors que les États-Unis risquent de ne plus pouvoi être un partenaire fiable.
Éditorial – Dérive des continents et Entente cordiale (T 1689)
Le Premier ministre Keir Starmer accueille un sommet des dirigeants européens à Lancaster House. (Photo © Lauren Hurley / 10 Downing Street / Flickr)
Editorial —Continental Drift and Entente Cordiale
This week, General Pellistrandi looks back at the immediate consequences of the unprecedented scene that took place last Friday in the Oval Office of the White House: the end of diplomacy between Ukraine and the United States, which had been their main supporters for three years. Donald Trump and his Vice President J.D. Vance have given up the art of negotiations to speak for the Kremlin. This has given rise to a brutal European awakening and the return to the forefront of the Entente Cordiale, with France and the United Kingdom seeking to take the lead on the Old Continent, while the United States risks no longer being able to be a reliable partner.
Depuis vendredi, l’Europe est commotionnée par les images de la rencontre chaotique entre Volodymyr Zelensky, Donald Trump et J. D. Vance à la Maison Blanche, alors que le président ukrainien venait signer un accord-cadre autour des minerais rares offert sous la contrainte aux États-Unis et… des garanties de sécurité en contrepartie. À peine Volodymyr Zelensky eût-il traité Vladimir Poutine de terroriste, que le dialogue, censé être diplomatique, s’est transformé en ring de boxe où le Président ukrainien a dû encaisser les coups des deux boxeurs américains. De « très bonnes images pour la télévision », selon les mots de Donald Trump, mais surtout un naufrage pour une rencontre censée être capitale pour l’avenir.
Et dès lors, le week-end a vu l’Europe avec le Canada et la Turquie essayer de recoller les morceaux et de réagir face à ce fiasco qui avait été pourtant bien préparé par les visites en début de semaine du Président français, Emmanuel Macron, puis du Premier ministre britannique, Keir Starmer. Alors que les chancelleries préparaient le sommet de Londres, le Président américain pouvait tranquillement défouler sa colère sur les greens de son golf en Floride, tandis que son Vice-président, malgré des manifestants indignés, dévalait les pentes neigeuses d’une station de ski dans le Vermont. Business as usual !
À Londres, ce fut le retour de l’Entente cordiale entamée en 1904 avec le binôme Macron-Starmer afin d’entraîner les Européens et leurs alliés dans une nouvelle dynamique pour, à la fois, soutenir l’Ukraine humiliée et quasi livrée à la Russie, renforcer l’unité européenne face à la menace russe et tâcher de préserver le lien transatlantique encore vital pour la sécurité du Vieux continent ; avec l’augmentation massive des dépenses de défense pour les États européens comme corollaire, ce qui signifie l’obligation pour la Commission européenne de proposer très vite de nouvelles règles de financement pour permettre de dégager rapidement des sommes importantes permettant ce réarmement indispensable pour répondre à la menace russe qui est une réalité et qui reste durable. Pour la France, cela signifie d’ailleurs une revue à la hausse du format de nos armées et de nos équipements. Cela signifie aussi qu’il va falloir que la Base industrielle et technologique de défense (BITD) accélère sa mutation en étant capable de produire plus vite, en plus grande quantité tout en innovant. Cela oblige à renforcer la supply chain encore trop fragile et fragmentée pour répondre aux nouveaux besoins. Cela signifie aussi de faire comprendre à nos opinions publiques que le temps des « dividendes de la paix » est définitivement révolu et que des choix politiques devront être faits pour affronter cette bascule géopolitique. Avec la difficulté de devoir agir dans l’urgence pour le soutien à l’Ukraine face à l’agression russe et au retrait américain, tout en travaillant dans le temps long. Ainsi construire trois frégates supplémentaires pour notre Marine nationale, ou une trentaine de Rafale ou des capacités de feux de saturation pour l’Armée de terre, ne se fait pas en quelques mois.
Au-delà de la légitime émotion du clash non diplomatique de vendredi à Washington, le fait est que le réveil pour l’Europe et ses partenaires est brutal mais devrait être bénéfique en obligeant à enfin regarder la situation géopolitique avec lucidité et pragmatisme. Il faut quand même s’interroger sur ce qui va se passer à Washington avec la politique de l’administration « Trump II ». Car la brutalité de l’entretien de vendredi soir entre deux chefs d’État est aussi une réalité dans la politique intérieure américaine, où Donald Trump, appuyé par Elon Musk – à moins que ce ne soit l’inverse – démolit l’administration selon des critères outrageusement ambigus.
Le lien Londres-Paris souvent occulté par le couple franco-allemand a pris tout son sens ces dernières semaines dans le champ géopolitique. Dans un monde où la compétition stratégique est devenue la règle et où les ambitions impériales éclatent au grand jour, il est urgent pour les Européens de sortir du déni. Heureusement que Napoléon et Wellington ont permis à Londres et Paris d’être des puissances militaires qui, hier concurrentes, sont aujourd’hui alliées. L’héritage du général de Gaulle et la ténacité légendaire de Winston Churchill sont aujourd’hui plus que jamais indispensables. ♦