Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur le réveil brutal des Européens sur la défense de leur continent alors que les menaces s'intensifient. Quelle défense pour le continent européen et pour l'Union européenne, alors que Donald Trump répète le désengagement des États-Unis pour le soutien de l'Europe ? Quelle défense européenne alors que la Russie continue ses attaques en Ukraine ? Le réveil est difficile, mais nécessaire pour que l'Europe se renforce, alors que nous avons changé d'ère géopolitique.
Éditorial – L’Europe, enfin ? (T 1692)
Editorial —Europe, finally?
This week, General Pellistrandi looks back at the rude awakening of Europeans on the defense of their continent as threats intensify. What defense for the European continent and for the European Union, while Donald Trump repeats the disengagement of the United States for the support of Europe? What European defense while Russia continues its attacks in Ukraine? The awakening is rude, but necessary, for Europe to strengthen itself, while we have changed geopolitical era.
En quelques semaines, l’horizon stratégique de l’Europe a été profondément bouleversé par les prises de position de Donald Trump. Entre ses critiques contre l’Ukraine et son Président présenté comme un dictateur, ainsi que ses accusations sur une Union européenne conçue pour faire du mal aux États-Unis, l’imprévisibilité et les manipulations grossières de l’histoire par le Président américain ont eu raison du traditionnel lien de confiance transatlantique, pilier de la sécurité européenne depuis bientôt 80 ans.
Le feu est désormais dans la Maison Europe avec un fort sentiment d’amertume pour certains États qui avaient, en quelque sorte, fait de l’atlantisme leur conception de la sécurité. Au point d’être totalement dépendants de Washington. Par chance, ou plutôt par réalisme et anticipation, ce n’est pas le cas de la France et plus que jamais, les choix volontairement décidés par le général de Gaulle, et en grande partie assumés par ses successeurs, résonnent comme une victoire géopolitique majeure. Par la dissuasion nucléaire et par ses forces armées opérationnelles, notre pays dispose d’une autonomie stratégique sans équivalent en Europe, lui permettant également de maintenir le dialogue stratégique avec les États-Unis au plus haut niveau.
Les efforts consentis par Paris depuis plus de soixante ans sont aujourd’hui payants – et même si les budgets de la défense ont subi les contraintes des dividendes de la paix pendant un quart de siècle – l’essentiel a pu être préservé en s’appuyant notamment sur l’abnégation des militaires eux-mêmes qui ont toujours su assumer les missions demandées – au prix du sang versé ! Néanmoins, la réalité stratégique est là : la Russie est une puissance agressive aux ambitions impérialistes. Elle poursuit sa guerre en Ukraine sans aucune considération humanitaire et veut obtenir la capitulation de Kiev alors même que les troupes russes ne parviennent pas à obtenir la victoire décisive. Moscou est également engagé dans une guerre hybride contre l’Europe et tout ce qu’elle représente – de la démocratie aux droits de l’Homme –, en utilisant tout le spectre possible : désinformation, manipulation de l’opinion, corruption, déstabilisation, élimination, cyber-agression, provocations… La liste est longue et la France est une cible privilégiée, notamment en Afrique. Cette attitude hostile est durable et ira en s’aggravant. D’autant plus que le retrait américain est, de facto, une réalité pour les pays membres de l’Otan et de l’UE.
Il était, dès lors, urgent que l’Europe se réveille, y compris avec le retour du Royaume-Uni, malgré le Brexit et d’autres partenaires, eux-aussi inquiets de la rupture de confiance avec Washington, comme le Canada. Contrairement à ce que certains politiques veulent faire croire, il ne s’agit pas de constituer une armée européenne comme le proposait le projet avorté de la Communauté européenne de défense (CED) dans les années 1950. Ceux qui prétendent à une telle option sont, au mieux, incompétents sur les questions de défense ; au pire, des manipulateurs des opinions publiques. Non, il s’agit d’assumer ensemble notre propre sécurité. C’est déjà le cas notamment pour la sécurité civile. Ainsi, l’été, il n’est pas rare de voir des Canadair aux cocardes espagnoles ou italiennes intervenir sur notre territoire, tandis que nos propres avions peuvent aller jusqu’en Grèce. Il devra en être de même pour notre défense, avec cette capacité d’interopérabilité largement soutenue par l’Otan et qui est une des clés de l’efficacité opérationnelle. Il faudra ainsi élargir le champ d’action comme le démontre le programme CAMO, permettant à la composante Terre des armées belges d’être totalement interopérables avec les brigades françaises, en raison du choix du système Scorpion avec le parc de véhicules blindés associés. Le programme conduit en commun par la Belgique et les Pays-Bas autour de la guerre des mines avec des navires construits en France du type BGDM sera aussi étendu à la France. Ces exemples démontrent qu’il est possible d’avancer ensemble et les décisions récentes prises à Bruxelles sous la pression et l’urgence obligent à accélérer pour répondre à la menace croissante de la Russie et au lâchage des États-Unis.
Il reste maintenant à concrétiser en espérant que les choix faits ne seront pas entravés par le poids des bureaucraties et par l’attitude de Washington cherchant à affaiblir l’unité des Européens mais jouant sur le bilatéralisme, ne serait-ce que pour maintenir sa mainmise sur les marchés de l’armement où l’Europe a encore accru sa dépendance envers les industriels américains. ♦