L'ambassadeur Bertrand Besancenot fait un tour d'horizon sur l'actualité moyen-orientale des mois de février et mars 2025. Entre la réunion extraordinaire de la Ligue arabe afin de trouver un plan pour Gaza, le rôle grandissant de l'Arabie saoudite dans la médiation entre la Russie et l'Ukraine et les agissements iraniens et libanais dans ces temps incertains, le Moyen-Orient fait l'actualité et pourrait se démarquer dans la résolution de la guerre en Ukraine.
Chroniques du Moyen-Orient – Médiation de l’Arabie saoudite, plan arabe pour Gaza, question iranienne et diplomatie libanaise (T 1694)
Le Secrétaire d'État américain Marco Rubio est à Djeddah en Arabie saoudite pour rencontrer des représentants ukrainiens, sous la médiation de l'Arabie saoudite (© Official State Department photo by Freddie Everett / Flickr)
Middle East Chronicles —Saudi Arabian mediation, Arab plan for Gaza, Iranian question and Lebanese diplomacy
Ambassador Bertrand Besancenot provides an overview of Middle Eastern news for February and March 2025. Between the extraordinary meeting of the Arab League to find a plan for Gaza, Saudi Arabia's growing role in mediating between Russia and Ukraine, and Iranian and Lebanese actions in these uncertain times, the Middle East is in the news and could play a key role in resolving the war in Ukraine.
Que peut-on retenir du plan arabe pour Gaza ?
La feuille de route prévoit une première phase d’urgence de six mois, suivie de deux phases de reconstruction qui s’étendront sur quatre ans et demi. Les pays arabes ont proposé, mardi 4 mars, une alternative au projet de Donald Trump de déplacer les Gazaouis de l’enclave et de placer le territoire sous contrôle américain. Réunis au Caire pour un sommet d’urgence, les 22 États-membres de la Ligue arabe ont approuvé un plan égyptien bien loin d’une « Riviera du Moyen-Orient », qui comprend la reconstruction de la bande de Gaza – sans en déplacer les habitants – et le retour de l’Autorité palestinienne (AP) au pouvoir.
Toutefois, quelques heures seulement après sa révélation, l’administration Trump avait déjà rejeté la proposition arabe, estimant qu’elle « ne [tenait] pas compte du fait que Gaza est actuellement inhabitable », selon les déclarations du porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Brian Hughes. Un revers attendu ? car les dirigeants de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (EAU) ont marqué de leur absence le sommet d’urgence au Caire. Et alors que Riyad s’était fermement opposé au plan de Donald Trump, l’absence constatée du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS) interroge sur le soutien des poids lourds de la région à ce plan. D’autres points d’achèvement s’accumulent et menacent la réalisation du plan arabe.
Un projet de gouvernance encore flou
Le plan prévoit que la bande de Gaza serait administrée pendant une période de transition par un comité de technocrates palestiniens sans affiliation à une faction palestinienne avant de permettre à l’Autorité palestinienne de reprendre le contrôle de l’enclave. « Nous avons les noms des 20 membres et nous attendons le feu vert du président palestinien Mahmoud Abbas », a déclaré une source citée par The National. Cependant, pour Oren Marmorstein, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, le plan arabe « ne tient pas compte des réalités de la situation » à Gaza, alors qu’un retour de l’AP à la tête de l’enclave représente une ligne rouge pour Tel-Aviv.
Si le plan, d’une centaine de pages, ne mentionne pas la tenue d’élections à Gaza, le président de l’AP, Mahmoud Abbas, a déclaré mardi lors du sommet qu’un scrutin présidentiel pourrait avoir lieu l’année prochaine « pourvu que les conditions soient réunies », alors que les dernières élections à Gaza ont eu lieu il y a vingt ans. « L’État de Palestine assumera ses responsabilités dans la bande de Gaza par le biais de ses institutions gouvernementales », a affirmé le président de 89 ans, qui a également proposé de créer un poste de vice-président, sans apporter plus de détails. Il a néanmoins laissé entendre qu’il pourrait amnistier un certain nombre de ses rivaux politiques qui ont été expulsés de la formation qu’il dirige, le Fateh.
Un plan sécuritaire sans le Hamas ?
Pour maintenir la sécurité dans l’enclave palestinienne, le plan arabe prévoit une formation pour les policiers palestiniens dispensée par l’Égypte et la Jordanie, ainsi qu’un déploiement d’effectifs à Gaza. Les pays arabes ont également appelé le Conseil de sécurité des Nations unies à permettre la mise en place d’une mission de maintien de la paix pour superviser la gouvernance dans l’enclave jusqu’à la fin de la reconstruction. « L’Organisation des Nations unies est prête à coopérer pleinement à cet effort », a réagi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à la suite du sommet.
Cependant, la Ligue arabe reste floue sur les perspectives de désarmer le Hamas, une condition sine qua non pour Washington et Tel-Aviv : « C’est un problème qui peut être traité, et même terminé pour toujours, seulement si ses causes sont éliminées grâce à un horizon clair et à un processus politique crédible », peut-on lire sur le rapport. Car si, de son côté, le Hamas a « salué » l’initiative de la Ligue arabe et la création d’un comité chargé de gérer le territoire après la guerre, Sami Abu Zuhri, haut responsable du mouvement islamiste, a déclaré mardi à l’agence Reuters que le dépôt des armes du groupe n’était pas négociable. « Nous n’acceptons aucun accord visant à partager (nos armes) contre la reconstruction ou l’entrée d’aide humanitaire », a-t-il déclaré.
Selon des sources citées par Bloomberg, des désaccords existent toutefois au sein de la Ligue arabe sur la place qu’occupera le Hamas dans la future gouvernance de Gaza. Le média américain précise que si l’Arabie saoudite est favorable à son retrait complet de la direction de l’enclave – de même que les EAU –, Riyad estime que le groupe doit être pris en compte dans les discussions pour éviter une radicalisation future des éléments les plus modérés.
Des financements difficiles à trouver
Le plan de reconstruction de Gaza imaginé par la Ligue arabe nécessite 53 milliards de dollars sur cinq ans, conformément à des estimations antérieures de l’ONU. Il reste néanmoins à savoir si les donateurs seront assez nombreux pour soutenir son coût, surtout si la présence du Hamas à Gaza n’est pas entièrement réglée. La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a par ailleurs rappelé, le 24 février dernier, la position des pays européens : « Gaza ne doit plus jamais être un refuge pour le terrorisme. »
Une première étape, de trois milliards de dollars et d’une durée de six mois, permettra de construire des logements temporaires et d’organiser le retrait des décombres de la rue Salah al-Din, la principale autoroute nord-sud de la bande de Gaza. La deuxième phase d’une durée de deux ans, pour un coût de 20 milliards de dollars, comprendrait la poursuite du déblai, la mise en place des réseaux de distribution et la construction de nouveaux logements. Enfin, la troisième phase du plan, qui coûterait 30 milliards de dollars, prévoit la construction de services : une zone industrielle, des ports de pêche et de commerce ainsi qu’un aéroport.
Pour la réalisation des différentes étapes de la reconstruction, la Ligue arabe a convenu de créer un fonds, ouvert à la contribution internationale, destiné aux financeurs. Pour stimuler les investissements, le rapport stipule que des conférences seront organisées à destination de l’ONU et des organisations financières internationales, ainsi que des investisseurs étrangers et du secteur privé. Le plan prévoit également la création d’un conseil de pilotage et de gestion chargé de soutenir le comité de technocrates en charge de la gestion de Gaza.
Si la position tranchée de Washington ne semble laisser que peu de chances de voir le plan se concrétiser, les responsables jordaniens ont toutefois déclaré à CNN que le plan serait présenté au Président américain dans les semaines à venir. « Bien que le président reste fidèle à sa vision audacieuse de l’après-guerre à Gaza, il accueille favorablement les contributions de nos partenaires arabes dans la région », a poursuivi Brian Hughes, mardi.
L’Arabie saoudite rejoint la course régionale à la médiation et à la consolidation de la paix
L’Arabie saoudite s’efforce activement de jouer un rôle de médiateur en Ukraine et à Gaza, malgré des tensions économiques et la concurrence d’autres médiateurs régionaux.
Le récent sommet États-Unis-Russie organisé par l’Arabie saoudite souligne les efforts du royaume pour promouvoir la paix à l’échelle internationale. Au Moyen-Orient, il œuvre à l’élaboration d’un plan viable de reconstruction et de consolidation de la paix à Gaza, tout en soutenant la reconstruction et la stabilisation de la Syrie. Toutefois, l’Arabie saoudite est confrontée à des pressions économiques dues à la volatilité des prix du pétrole et aux coûts des projets ambitieux liés à « Vision 2030 ». Elle doit également faire face à la concurrence d’autres médiateurs expérimentés dans la région.
Contexte
D’après les premiers mois de 2025, l’année s’annonce comme marquée par d’importants bouleversements géopolitiques. Depuis le début du premier trimestre, le président américain Donald Trump et le Premier ministre britannique Sir Keir Starmer ont réduit l’aide étrangère, la Syrie a un nouveau président, les États-Unis ont suspendu leur aide militaire à l’Ukraine et le Chinois DeepSeek a révolutionné le monde de l’intelligence artificielle. Parmi ces événements, le sommet États-Unis-Russie organisé en février par l’Arabie saoudite se distingue particulièrement.
Lors de cette première négociation significative entre les États-Unis et la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou le 24 février 2022, les deux parties se sont réunies à Riyad pour explorer une issue au conflit ukrainien. Elles ont convenu de créer des équipes de haut niveau chargées de rédiger un accord de paix « durable, soutenable et acceptable pour toutes les parties », bien que l’Ukraine n’ait pas été présente aux discussions. Les pourparlers ont également abordé une éventuelle coopération entre les États-Unis et la Russie.
Malgré l’incertitude quant aux résultats de ces discussions et les tensions persistantes entre les deux puissances, la tenue du sommet à Riyad démontre la capacité de l’Arabie saoudite à réunir des acteurs mondiaux majeurs autour de la table des négociations. Dans la même semaine, le Fonds d’investissement public saoudien a organisé à Miami son sommet FII Priority, auquel le président Trump a assisté. Parallèlement, à Riyad, des représentants de l’Arabie saoudite, du Qatar, des EAU, de l’Égypte et de la Jordanie ont discuté de leur opposition au projet de reconstruction de Gaza proposé par Donald Trump, baptisé « Gaza Riviera », en préparation du sommet d’urgence de la Ligue arabe au Caire.
L’Arabie saoudite, un médiateur régional depuis le XXe siècle
Le royaume n’est pas novice en matière de diplomatie et a déjà joué un rôle de médiateur entre adversaires régionaux à plusieurs reprises au XXe siècle. Dans les années 1970, sous le règne du roi Fayçal, l’Arabie saoudite a activement soutenu les négociations de paix au Soudan, notamment l’accord d’Addis-Abeba en 1972, et a contribué à des mouvements anti coloniaux en Afrique, ainsi qu’à la collecte d’aides durant la guerre du Biafra. Motivé par la solidarité panarabe et islamique ainsi que par son engagement en faveur de l’autodétermination africaine, le roi Fayçal a jeté les bases des efforts de médiation saoudiens actuels.
Le royaume a notamment joué un rôle clé dans l’accord de Taëf en 1989, qui a mis fin à la guerre civile libanaise. Il a facilité les discussions entre factions politiques libanaises, soutenu l’intégrité territoriale du Liban face aux ingérences syriennes et israéliennes, et apporté une aide à la reconstruction post-conflit. En 1990, le roi Fahd a également facilité une rencontre diplomatique entre le Koweït et l’Irak à Djeddah afin de tenter d’apaiser les tensions avant la guerre du Golfe et d’éviter l’invasion irakienne. Plus récemment, l’Arabie saoudite a aussi contribué à des processus de paix en Somalie, en Libye, au Soudan du Sud, en Érythrée et en Éthiopie.
De WENA à MENA : la place des puissances intermédiaires dans la médiation internationale
Historiquement, les efforts de médiation et de consolidation de la paix ont été dominés par l’Occident, ce que les experts du Moyen-Orient désignent par l’acronyme WENA (Western Europe and North America, soit Europe occidentale et Amérique du Nord). Malgré les interventions économiques et politiques occidentales, le Moyen-Orient, l’Afrique et d’autres régions restent marqués par des crises géopolitiques récurrentes. La médiation de WENA a souvent adopté une approche standardisée et légaliste, qui a échoué à instaurer une paix durable.
Dans ce contexte, de nouveaux acteurs, comme l’Arabie saoudite, s’imposent progressivement sur la scène de la médiation internationale pour pallier les lacunes des puissances traditionnelles. L’entrée de puissances intermédiaires dans la résolution des conflits devient essentielle à une époque de forte instabilité géopolitique, la médiation WENA laissant peu à peu la place à la médiation MENA (Middle East North Africa). L’Arabie saoudite, en particulier, bénéficie d’un capital culturel dans le monde arabe et islamique qui lui confère une légitimité pour accueillir ce type de négociations. Cette évolution s’inscrit également dans la volonté du royaume de s’éloigner de sa dépendance historique à l’Occident sur les plans économique, militaire et diplomatique. Une politique étrangère audacieuse et plus indépendante s’aligne avec les objectifs de « Vision 2030 », qui vise à transformer l’image du pays et à forger une nouvelle identité nationale.
Un message aux États-Unis ?
La relation bilatérale entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, bien qu’historiquement importante, a traversé des tensions, notamment sous la présidence de Joe Biden. Le rapprochement initial du royaume saoudien avec l’Iran, ainsi que ses liens croissants avec la Chine, la Russie et le Sud global, ont accru son autonomie diplomatique. Si la relation entre Trump et l’Arabie saoudite avait été plus positive durant son premier mandat, la transformation économique et diplomatique du royaume ces dernières années lui confère désormais un levier d’influence vis-à-vis de Washington.
Ce sommet États-Unis-Russie en Arabie saoudite envoie également un message clair : Riyad entretient ses relations avec Moscou depuis 2022 et est en mesure d’utiliser ces liens pour faciliter des négociations d’envergure. Par ailleurs, la réduction récente de l’aide internationale américaine contraint la politique mondiale à se diversifier et à adopter une approche multipolaire. Les puissances intermédiaires et émergentes continueront à forger de nouvelles alliances, à réévaluer leurs relations passées et à se positionner comme des ponts diplomatiques clés.
Les défis de la médiation saoudienne
Le rôle croissant de l’Arabie saoudite dans la médiation s’aligne avec « Vision 2030 », qui ambitionne de passer d’une politique étrangère confrontante à un leadership régional diplomatique. Cependant, ces efforts font face à des défis :
• L’économie saoudienne souffre de la volatilité des prix du pétrole, du coût élevé des infrastructures et d’investissements ambitieux qui commencent à être revus à la baisse.
• Une augmentation de la dépendance à ses partenaires occidentaux affaiblirait sa capacité à rester un médiateur neutre.
• Dans les années 1990, après son engagement dans la libération du Koweït, le Royaume avait rencontré des difficultés économiques similaires, dues au bas prix du pétrole, à une population en croissance et aux coûts de ses engagements diplomatiques.
La concurrence du Qatar
L’Arabie saoudite n’est pas seule dans cette course à la médiation. Le Qatar possède une expérience éprouvée en matière de négociations et bénéficie d’une reconnaissance internationale. Son rôle clé dans les négociations entre le Hamas et Israël en 2023, notamment pour un cessez-le-feu et un échange de prisonniers, a renforcé sa crédibilité.
Dans cette rivalité pour le leadership diplomatique, les États du Golfe chercheront à négocier des accords majeurs, notamment entre les États-Unis et l’Iran, qui constitueraient une victoire diplomatique majeure pour le médiateur qui y parviendra.
En Iran, la ligne dure reprend le dessus face à Trump
L’élection du président Massoud Pezeshkian avait laissé penser que le régime cherchait à apaiser ses relations avec l’Occident. Une tendance qui semble désormais dépassée. Les indices s’accumulent. Si la politique iranienne pouvait récemment être lue comme une main tendue à l’Amérique, à la suite de l’élection du président réformiste Massoud Pezeshkian en juillet dernier, les partisans d’une ligne dure ont marqué ces derniers jours plusieurs victoires. Dimanche 2 mars, le ministre de l’Économie et des Finances Abdolnaser Hemmati est évincé par le Parlement après un vote de confiance défavorable. Quelques heures plus tard, c’est le vice-président Mohammad Javad Zarif qui présente sa démission, pour la seconde fois. Dans le viseur des ultra-conservateurs, l’ancien diplomate défendait la nécessité de restaurer un dialogue avec l’Occident pour obtenir une levée des sanctions. Une perspective qui semble s’éloigner, alors que le spectre d’une frappe israélienne sur les infrastructures nucléaires de l’Iran prend de l’ampleur sous l’administration républicaine de Donald Trump et que Téhéran s’est dit opposé à des pourparlers directs sous pression. Le durcissement de la position iranienne traduit-il une décision d’aller au bout de la logique de dissuasion par le nucléaire ou plutôt une technique de négociation pour être en meilleure posture face à Washington ?
La nouvelle ligne semble en tout cas s’être affirmée après la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche, où il s’est retrouvé attaqué par son homologue américain et son vice-président J. D. Vance en raison de leurs divergences sur la Russie. « L’humiliation de Zelensky par Trump a donné des munitions à ceux qui veulent voir Zarif évincé, arguant que les discussions avec les brutes américaines ne peuvent que mal finir », a analysé, sur X, Patrick Wintour, rédacteur diplomatique du Guardian, alors que le vice-président était le négociateur en chef de l’accord sur le nucléaire de 2015. « Il y a un État profond qui ne veut pas de négociations avec les États-Unis, qui a plutôt intérêt au maintien du régime de sanctions, alors qu’il bénéficie des ventes illégales de pétrole », indique Ali Fathollah-Nejad, fondateur et directeur du Center for Middle East and Global Order (CMEG).
Changement de ton du régime iranien
En place depuis près de six mois, le régime iranien paraissait jusque-là prêt à discuter des modalités d’un nouveau deal après les revers subis par l’« axe de la résistance » depuis le 7 octobre 2023. Alors que l’accord de Vienne arrive, en outre, à expiration en octobre, date avant laquelle les pays signataires pourront activer la clause de « snapback » en cas de violation du deal pour remettre en place toutes les sanctions onusiennes contre l’Iran. Une perspective négative qui s’ajoute à la crise économique qui continue de s’aggraver, le dollar s’échangeant contre près de 950 000 rials dans les rues de Téhéran, contre 600 000 en juillet dernier, lorsque le réformiste Massoud Pezeshkian a été élu à la présidence. En 2015, année de la signature du JCPOA, le taux de change s’établissait à 32 000 rials pour 1 dollar.
Défendant son ministre de l’Économie et des Finances à la tribune du Parlement lors de son vote de confiance, le président iranien a déclaré : « Les problèmes économiques de la société aujourd’hui ne sont pas liés à une seule personne, et nous ne pouvons pas tout mettre sur le dos d’une personne. » Reste que l’éviction du ministre puis l’annonce de la démission du vice-président Zarif – qui n’a pas encore été officiellement commentée – représentent des camouflets pour la ligne réformiste du régime, qui comptait sur une levée des sanctions occidentales pour redresser le pays. « Personnellement, je crois qu’il est meilleur de dialoguer. Mais quand le guide suprême a dit que nous ne négocierons pas avec les États-Unis, j’ai annoncé qu’il n’y aurait pas de dialogue », a ainsi admis devant les parlementaires Massoud Pezeshkian, pointé du doigt comme une simple marionnette de l’ayatollah Ali Khamenei.
« Désarmement de la République islamique »
Quelques jours avant, son ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, avait déclaré qu’il n’y aurait pas de pourparlers sous la pression ou les menaces, en référence aux premières sanctions imposées sous la nouvelle politique de « pression maximale » de l’administration Trump. Dans le viseur de Washington : le pétrole iranien, première source de revenus du pays et vendu en premier lieu à la Chine. Après avoir désigné une trentaine d’entités faisant partie de la « flotte de l’ombre » du régime et lui permettant d’écouler son or noir – bien qu’à prix réduit. L’administration Trump a, en outre, imposé des sanctions sur des compagnies fournissant à l’Iran des équipements nécessaires à sa production de drones et missiles. Alors que la Maison Blanche s’est affichée en faveur d’un deal nucléaire plutôt que de l’option militaire, poussée par son allié israélien, les dossiers des activités régionales de l’Iran et de son programme balistique ne pourront cette fois en être dissociés.
« Les Iraniens sont dans une position difficile, où ils craignent qu’un deal avec Trump finisse en capitulation, ou comme (le président conservateur du Parlement, Mohammad Bagher) Ghalibaf l’a dit, au “désarmement de la République islamique d’Iran” », souligne Ali Fathollah-Nejad. Téhéran cherche ainsi à montrer les muscles, les forces armées ayant notamment multiplié ces derniers mois les exercices militaires et les présentations de nouveaux équipements militaires pour prouver leurs capacités de nuisance. Par ailleurs, le New York Times rapportait début février que des informations obtenues par les États-Unis faisaient état d’une équipe secrète d’ingénieurs militaires iraniens qui chercherait à développer un moyen plus rapide de créer une bombe atomique, bien que moins sophistiquée que celle que Téhéran souhaiterait produire. La recherche ne serait cependant mise en pratique que si la République islamique changeait d’approche par rapport au nucléaire, les renseignements occidentaux n’ayant pas perçu jusqu’à présent de signaux en ce sens.
Médiation de la Russie entre Washington et Téhéran ?
Officiellement, le programme atomique iranien est destiné à un usage strictement civil, excluant toute utilisation militaire. À la suite des frappes israéliennes inédites sur son territoire en avril 2024, répondant au lancement par Téhéran de plus de 300 missiles et drones sur l’État hébreu, la République islamique avait néanmoins laissé flotter l’idée d’un changement de sa doctrine nucléaire. Une menace réitérée après les dernières attaques israéliennes en territoire iranien, le 26 octobre dernier, qui auraient détruit toutes les défenses antiaériennes du pays. Au moment où les menaces de l’État hébreu se multiplient pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est alarmée de l’augmentation « très préoccupante » des réserves d’uranium enrichi à 60 % de l’Iran, dans un rapport confidentiel consulté par l’AFP fin février. « Comme par le passé, la prétendue stratégie d’escalade nucléaire de l’Iran est censée servir de monnaie d’échange et de levier face à l’Occident, rappelle Ali Fathollah-Nejad. Et c’est encore plus le cas aujourd’hui, même s’il n’est pas sûr que cela fonctionne face aux menaces israéliennes de frapper des sites nucléaires, potentiellement soutenues par Trump. »
Alors que les États-Unis et la Russie procèdent à un rapprochement, Téhéran pourrait cependant bénéficier de la médiation de Moscou, pour laquelle le président américain aurait exprimé son intérêt, selon des sources citées par Bloomberg. Depuis l’invasion russe il y a plus de trois ans, les liens entre le Kremlin et la République islamique se sont resserrés, la seconde fournissant notamment des drones au premier. La question d’un rôle intermédiaire de Moscou aurait été abordée mi-février lors d’un appel téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, puis durant la première rencontre de hauts responsables des deux pays depuis le début de la guerre en Ukraine, qui s’est tenue en Arabie saoudite. Dans le même temps, le locataire de la Maison Blanche maintient une pression élevée, son secrétaire d’État Marco Rubio ayant signé vendredi un décret accélérant une vente d’armes de près de 4 milliards de dollars à Israël. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a réagi en remerciant le président américain d’avoir autorisé cet envoi d’équipement qui permettra de « finir le travail contre l’axe iranien de la terreur ».
Les nouvelles autorités libanaises choisissent de réintégrer le camp arabe
« Occuper Beyrouth, détruire Damas, menacer Amman, faire mal à Bagdad et prendre Sanaa… ne sert pas la Palestine », a affirmé le président Joseph Aoun, en allusion à l’axe iranien. Lors d’un discours prononcé mardi 4 mars lors des travaux du sommet arabe extraordinaire qui s’est tenu au Caire pour discuter d’un plan de reconstruction de Gaza, le président de la République libanaise a envoyé quelques piques à l’attention de l’Iran et a réaffirmé sa volonté de reconstruire des liens solides avec les pays arabes, notamment ceux du Golfe.
La cause palestinienne est « un droit national palestinien, un droit arabe et un droit humain mondial », a-t-il dit. « La question palestinienne exige que nous soyons toujours aux côtés de son peuple, de ses choix et de ses décisions, avec ses autorités officielles et ses représentants légitimes. La dimension arabe de la question palestinienne nous impose de rester tous forts, pour que la Palestine soit forte », a poursuivi le chef de l’État. « Car lorsqu’on occupe Beyrouth, détruit Damas, menace Amman, fait souffrir Bagdad ou prend Sanaa… il est impossible que quiconque puisse prétendre que cela sert la Palestine. » Une allusion au camp pro-Téhéran, qui intervient à l’heure où la tutelle iranienne sur le Liban s’est pratiquement effondrée après les derniers développements régionaux.
M. Aoun a aussi affirmé que « le Liban a beaucoup souffert, mais il a appris de ses souffrances. Il a appris à ne pas être à la merci des guerres des autres. Il a appris à ne pas être le quartier général ni le couloir des politiques étrangères », a-t-il poursuivi. Il a aussi noté que « les intérêts existentiels du Liban sont avec son voisinage arabe » et que son rôle dans la région est d’être « un pays de rencontre, non pas un terrain de conflit ».
Le président a également affirmé que le Liban ne renoncera pas à sa terre et que « chaque centimètre » de son territoire sera libéré. L’armée israélienne maintient, en effet, toujours des positions au Sud-Liban malgré son prétendu retrait officiel du pays le 18 février.
« Dans mon pays, tout comme en Palestine, il y a encore des terres occupées par Israël. Des prisonniers libanais se trouvent dans ses geôles », a dénoncé le chef de l’État. « Nous ne renonçons pas à notre terre, nous n’oublions pas nos prisonniers et nous ne les abandonnons pas. Il n’y a pas de paix sans la libération de chaque centimètre de notre territoire, reconnu internationalement, documenté, validé et délimité par les Nations unies. Et il n’y a pas de paix sans un État palestinien », a-t-il également assuré, rejoignant ainsi la position saoudienne sur la question. Le général Aoun a précisé que « la souveraineté complète et stable du Liban se renforce par le rétablissement total de la Syrie et l’indépendance totale de la Palestine ».
« Toute déstabilisation d’un voisin arabe est une déstabilisation pour tous ses voisins. Et inversement », a-t-il ajouté. M. Aoun a conclu son discours en disant que « le Liban retrouve aujourd’hui sa légitimité arabe, grâce à vous et à votre soutien constant ».
En marge du sommet, Joseph Aoun s’est entretenu avec plusieurs représentants de pays arabes, et aussi avec le secrétaire général de l’ONU avec qui il a abordé la situation au Sud-Liban et le maintien des forces israéliennes en certains points du territoire national.
Joseph Aoun s’est également entretenu avec l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al Thani, qui lui a affirmé « la volonté de son pays de poursuivre son soutien à l’armée libanaise et d’aider au financement de projets vitaux, tels que le développement du secteur de l’électricité », selon la présidence libanaise. Le roi de Jordanie Abdallah II a, pour sa part, indiqué pendant sa rencontre avec le président Aoun qu’un nouveau lot de véhicules militaires sera envoyé au Liban pour soutenir l’armée.
Le président Aoun a rencontré aussi le président palestinien Mahmoud Abbas. « Nous soutenons toutes les mesures prises par le gouvernement libanais pour renforcer la souveraineté de l’État sur l’ensemble de son territoire et appliquer la résolution 1701 », a affirmé ce dernier. Il a également échangé avec le roi de Bahreïn, Hamad ben Issa al Khalifa, et avec son homologue syrien, Ahmad el-Chareh. Selon la présidence libanaise, M. Aoun et M. el-Chareh, qui se rencontrent pour la première fois, ont « abordé plusieurs questions en suspens ». « Il a été convenu de coordonner par le biais de commissions conjointes qui seront formées après la composition du nouveau gouvernement syrien », ajoute la présidence, sans donner plus de détails. Il a également été « convenu de la nécessité de contrôler les frontières entre les deux pays ».
La visite en Arabie saoudite
La veille, le président se trouvait à Riyad, où il s’était entretenu avec le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane. Les deux hommes ont discuté de l’importance de consacrer le monopole des armes libanaises au sein de l’État, et donc de désarmer le Hezbollah, et d’assurer un retrait de l’armée israélienne de tout le territoire libanais, selon un communiqué conjoint publié mardi. Ce texte, publié sur les agences officielles libanaise et saoudienne, précise que le président Aoun et le prince héritier saoudien ont convenu durant leur entretien de renforcer la coopération entre les deux pays, de coordonner leurs positions sur les questions majeures aux niveaux régional et international, et ont discuté des moyens de renforcer la souveraineté libanaise.
Concernant les relations entre le Liban et l’Arabie saoudite, les deux pays ont convenu de commencer à examiner les obstacles qui entravent la reprise des exportations de la République du Liban vers le royaume d’Arabie saoudite et les mesures nécessaires pour permettre aux citoyens saoudiens de se rendre au Liban, lit-on dans le communiqué. La visite officielle de Joseph Aoun à Riyad constitue en effet un signe important de réchauffement des relations libano-saoudiennes, longtemps refroidies par des tensions liées à l’Iran et au Hezbollah. Dans ce cadre, les ressortissants saoudiens sont toujours interdits de voyager au Liban, tandis que toutes les relations commerciales ont été gelées depuis plusieurs années.
Le 29 octobre 2021, le royaume avait annoncé plusieurs importantes mesures de rétorsion après les propos du ministre de l’Information d’alors, Georges Kordahi, concernant la guerre au Yémen et l’implication des pays du Golfe dans ce conflit. La crise avait également été amplifiée par le « contrôle » du Hezbollah sur les décisions libanaises et le trafic de drogue cachée dans des produits d’importation. Durant l’entretien entre MBS et le président libanais, il a également été question de la souveraineté libanaise et de « l’importance de l’application de ce qui a été mentionné dans le discours d’investiture présidentielle » de Joseph Aoun, le 9 janvier dernier. Les deux parties ont ainsi « souligné l’importance de l’application complète de l’accord de Taëf, de l’application des résolutions internationales pertinentes, de l’affirmation de la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire libanais, de la limitation des armes aux seules forces de l’État libanais, de l’affirmation du rôle national de l’armée libanaise, de l’importance de son soutien et de la nécessité du retrait de l’armée d’occupation israélienne de toutes les terres libanaises », poursuit la déclaration commune.
Concernant le redressement de l’économie libanaise, les deux parties ont « convenu de la nécessité de […] lancer les réformes requises au niveau international selon les principes de transparence et d’application des lois contraignantes ». Le texte a, en outre, affirmé que « le Liban est un membre authentique de la communauté arabe et que ses relations avec les pays arabes sont la garantie de sa sécurité et de sa stabilité ». Le communiqué se conclut par la mention d’une invitation par Joseph Aoun à l’adresse du prince héritier saoudien, qui a reçu un « accueil favorable ».
Peu après son départ de Riyad vers l’Égypte, le chef de l’État a envoyé un dernier message au prince héritier saoudien pour le remercier de son accueil « qui reflète la profondeur des relations fraternelles libano-saoudiennes enracinées dans l’histoire ». « Nos entretiens ont jeté les bases solides d’une nouvelle phase dans les relations entre nos deux pays, que nous avons convenu d’activer et de développer dans tous les domaines », a-t-il écrit.
11 mars 2025