Cette réflexion porte sur les déterminants historiques, éthiques et moraux de l’armement nucléaire et de sa menace d’emploi comme instrument d’interdiction de la guerre et d’entretien d’une coresponsabilité assumée d’un état d’équilibre qui ne peut être confondu avec la paix mais la conditionne.
La dissuasion nucléaire, morale d’une Histoire en cours (T 527)
Nuclear deterrence, moral of a current History
This reflection focuses on the historical, ethical and moral determinants of nuclear weapons and its threat of use as an instrument for the prohibition of war and the maintenance of shared responsibility for a state of equilibrium, not to be confused with conditional peace.
L’humanité n’a véritablement pris connaissance de l’existence et des effets (1) de l’arme nucléaire qu’avec les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Cette synchronicité devait s’avérer décisive pour l’ère qui venait de s’ouvrir, la simultanéité de la découverte de la bombe et de son utilisation contre des villes ayant brisé un tabou avant même qu’il puisse être posé (cf. notre article dans la revue Le Banquet), du fait qu’aucun débat public n’ait pu être véritablement mené pour décider des circonstances de son recours.
La réflexion morale autour de l’arme nucléaire est donc à la fois rétrospective – « Fallait-il l’employer contre le Japon ? » – et prospective – « Comment œuvrer pour qu’elle n’ait plus à être employée ? ». Si ces interrogations peuvent conduire certaines voix à interroger sa légitimité à exister, peut-être y aurait-il quelque pertinence à considérer l’arme nucléaire comme un révélateur de ce que l’homme est pour l’homme afin de mieux comprendre comment, à travers le concept de dissuasion, elle a pu contribuer à façonner les relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La démarche morale et prospective de la Commission Franck
Au début du mois de juin 1945, alors que les combats en Europe viennent de s’achever, le très secret Projet Manhattan touche lui aussi à sa fin. Trinity, le premier engin expérimental, doit détonner le 16 juillet au Nouveau-Mexique et la guerre dans le Pacifique, qui continue de faire rage et de causer de lourdes pertes, doit s’arrêter au plus vite. La détermination à faire aboutir les recherches autour de la nouvelle arme, conjuguée à la conviction qu’une capitulation sans conditions du Japon impérial ne s’obtiendrait pas sans « un choc psychologique » (2), le tout dans un contexte d’urgence stratégique – l’URSS cherchant de surcroît à s’affirmer sur ce qui reste le dernier front du conflit – n’ont cependant pas compromis toute réflexion sur les enjeux qui n’allaient pas de manquer d’apparaître avec la nouvelle arme, dont celui du risque de sa dissémination : ce fut la mission de l’Interim Committee. Cette Commission, à la vocation temporaire et de conseil, allait involontairement inspirer la réunion à Chicago le 4 juin d’un comité de scientifiques présidé par James Franck (Prix Nobel de physique en 1925), dont le caractère confidentiel – à tous les sens du terme – ne doit pas compromettre l’importance. Dans le Report of the Committee on Political and Social Problems, Manhattan Project en date du 11 juin 1945, ce groupe de scientifiques va mener une véritable démarche philosophique, à la fois morale et prospective, sans exclure pour autant des considérations stratégiques.
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