Le général Le Borgne a été et reste un acteur essentiel de la pensée militaire, à travers une longue expérience acquise au fil des années et s’appuyant sur une réflexion permanente sur la Guerre en évitant les clichés et les propos de stratégiste de salon. Bel exemple d’humanisme et d’action avec un esprit aguerri et critique sachant manier avec élégance l’humour et la modestie.
Parmi les livres - Claude Le Borgne, une aventure humaine (T 689)
Among the books—Claude Le Borgne, a human adventure
General Le Borgne has been and remains an essential player in military thought, through a long experience gained over the years and relying on a permanent reflection on the War avoiding clichés and the words of salon strategist. A good example of humanism and action with a seasoned and critical mind knowing how to handle humor and modesty with elegance.
Le nouvel ouvrage du général Le Borgne (Albin Michel, 2015 ; 395 pages) présente un double intérêt, culturel et pédagogique, en raison de la très grande précision qui est fournie sur les traditions des différentes populations que l’auteur a côtoyées tout au long de ses quarante années de vie militaire. Le document est d’abord une réflexion sur des sujets de civilisation. Dans ce livre à la joie communicative, malgré parfois la tragédie des événements, c’est l’humour qui domine. Le narrateur donne souvent l’impression de ne pas se prendre au sérieux. Cet intellectuel baroudeur possède en effet ce trait d’esprit plaisant qui repose sur la modestie. Dans son exposé fascinant, il ne se donne jamais le beau rôle. Ce signe d’humilité est la marque des grands soldats.
Le récit n’est pas chronologique. Il s’appuie sur trois moments de vie dans des espaces géographiques différents auxquels l’auteur affecte des animaux symboliques : des chameaux et des Maures, des buffles et des Viêts, des moutons et des fells.
« Des chameaux et des Maures »
Le long chapitre consacré aux nomades maures est un véritable document didactique sur les coutumes et les modes de pensée de ces gens attachants du désert saharien. L’écrivain souligne notamment le sens inné de l’orientation que possèdent ces tribus errantes. Cette qualité leur est indispensable, car c’est une question de survie : « Dans ce pays sans route, ni chemin, ni pancarte, ni ville, il en va en effet de la vie à savoir s’y diriger. Or non seulement la boussole leur est inconnue, mais l’étoile polaire même ne leur est aucunement nécessaire. (…). Leur boussole intérieure, bizarre et variable, se concrétise dans l’orientation de leurs tentes. Elles sont dressées pour présenter leur arrière au maître vent (l’alizé, NDLR), soit au nord-est, et donc leur ouverture à l’opposé, soit au sud-ouest ». Les relations spéciales des nomades avec les chameaux sont également traitées sur un mode éducatif. Fort de son expérience de méhariste, l’auteur nous dévoile tous les tréfonds de « ces énormes bestiaux » : « Si je parle de l’intelligence du chameau, je me ferai moquer. Pourtant son instinct est si sûr, sa mémoire si fidèle, son attitude pensive si constante, ses accès de gaîté si visibles, que je suis tenté de sauter le pas. Peut-être la gaîté est-elle le trait le plus frappant de son caractère. (…). Quant à l’instinct, c’est un mot bien insuffisant à rendre compte du flair et de la mémoire dont le chameau fait preuve. Il perçoit, à plusieurs jours de marche où il se trouve, la pluie fraîchement tombée. Laissé libre alors que la soif le presse, il prendra la direction exacte du puits le plus proche. Sa mémoire est infaillible ». L’art du berger consiste à entretenir cette connivence entre l’homme du désert et son animal fétiche. Le berger n’est pas seulement capable de mener paître un troupeau, mais il doit en être aussi le patron, donc s’imposer auprès des bêtes qui « le reconnaissent pour le chef qu’il leur faut ».
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