René Girard vient de disparaître à l’âge de 91 ans. Ce philosophe trop méconnu en France a construit une œuvre fondamentale avec une réflexion centrale sur la violence au coeur de la relation humaine. Ses travaux restent essentiels pour celui qui s’intéresse au phénomène « guerre » comme régulateur social. Ce n’est pas un hasard si nombre de ses thèses ont servi pour mieux comprendre les déchaînements de barbarie que, seul, l’Homme est hélas capable de réaliser.
René Girard : une vie à penser « autrement » la guerre entre les hommes (T 703)
René Girard: a life to think "differently" the war between men
René Girard has just passed at the age of 91. This little-known philosopher in France has constructed a fundamental work with a central reflection on violence at the heart of the human relationship. His work remains essential for anyone interested in the "war" phenomenon as a social regulator. It is no coincidence that many of his theses have been used to better understand the outbursts of barbarism that only Man is unfortunately able to achieve.
L’anthropologue et philosophe français René Girard, célèbre pour sa « théorie mimétique » et son engagement à promouvoir la vérité révélée du christianisme, est mort à 91 ans le 4 novembre 2015 à Stanford en Californie. Il était membre de l’Académie française depuis 2005 tout en ayant effectué la majeure partie de sa carrière aux États-Unis. Après avoir soutenu une thèse d’archiviste paléographe à l’École nationale des chartes en 1947, il quitte la France pour passer un doctorat d’histoire à l’Université d’Indiana. Il y enseigne la littérature et développe les fondamentaux de sa théorie du désir mimétique, qu’il expose dans un premier ouvrage qui assurera sa réputation : Mensonge romantique et vérité romanesque (1961). Il restera aux États-Unis, travaillera à l’Université Johns-Hopkins (1957-1968 et 1975-1980), à l’Université de Buffalo (1968-1975) et à l’Université de Stanford (1980-1995), et poursuivra l’édification de son « système » par l’étude de l’anthropologie et de la question du sacrifice. La violence et le sacré (1972) fait de nouveau sensation et restera son livre le plus connu. Devant la notoriété, mais aussi les incompréhensions que suscite son œuvre, il entreprend, avec l’aide de deux psychiatres français, Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort, d’approfondir sa pensée par une approche psychologique et psychanalytique ; ce sera Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978). C’est dans cet ouvrage qu’il fait son « coming out » et expose le rôle essentiel des textes bibliques dans l’élaboration de sa pensée théorique. Par la suite, il précisera son « système » à l’occasion de nombreux livres, dont Le bouc émissaire (1992) et Achevez Clausewitz (2005).
Cet ouvrage de 2005 a fait débat, et fait toujours débat, dans le milieu de la pensée stratégique. Dans sa lecture de De la guerre de Clausewitz, René Girard interprète le concept clausewitzien de la guerre comme duel entre deux volontés armées à partir de sa théorie mimétique. La « montée aux extrêmes », que Clausewitz voit comme la première réciprocité de la guerre, purement conceptualisée comme duel, correspond pour Girard au mécanisme de rivalité dans lequel le désir mimétique pousse les hommes vers la violence. L’escalade de violence mimétique produit une forme d’effervescence de la situation conflictuelle, qui se traduit par la confusion de la « guerre de tous contre tous » et qui permet une déviation de la violence vers une victime unique (« tous contre un »), le bouc émissaire. Le sacrifice de la victime émissaire, par l’apaisement soudain et inattendu des tensions humaines, acquiert un caractère sacré. Le nouvel ordre social institué par ce sacrifice originel est cependant précaire car le désir mimétique reste au fondement de la nature humaine. Le mécanisme de montée aux extrêmes s’embraye à nouveau et nécessite l’institution de rites sacrificiels rappelant le sacrifice fondateur pour apaiser les tensions sociales. Mais c’est une guerre qui se répète sans fin, comme attirée par cette nature fondamentale de la guerre qui est le duel, duel qui mène inexorablement à la montée aux extrêmes.
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