Les évolutions de la génétique avec désormais des capacités d’intervention et de manipulation sur le génome peuvent susciter des interrogations quant à une éventuelle utilisation à des fins militaires. L’optimisation des performances physiques du soldat pourrait ne plus relever de la science-fiction mais bien devenir une réalité avec dès lors, de multiples interrogations éthiques.
Le génie génétique est-il devenu une arme de destruction massive ? L’affaire CRISPR-Cas9 (T 848)
Has genetic engineering become a weapon of mass destruction? The case of CRISPR-Cas9
Developments in genetics with the ability to intervene and manipulate the genome can raise questions about possible use for military purposes. The optimization of the physical performance of the soldier could no longer be science fiction but become a reality with multiple ethical questions.
Depuis que l’homme est homme, il est aussi guerrier. Et depuis que la guerre existe, l’homme a toujours cherché de manière plus ou moins prononcée à former une élite soldatesque, ce que l’on dénommait hier commandos et aujourd’hui forces spéciales (sur leur histoire, voir Éric Denécé, Forces spéciales, l’avenir de la guerre ?, chap. I). L’émergence contemporaine des thèses évolutionniste, darwiniste (1), raciste et eugéniste (2), mais aussi la course aux armements et à la supériorité militaire, ont entraîné les États qu’ils soient libéraux (lois de stérilisation aux États-Unis, en Suisse, en Suède… au début du XXe siècle), dictatoriaux (thèses raciste et antisémite du NSDAP en Allemagne) ou marxistes (thèse de l’homme nouveau), à développer des programmes politiques et/ou militaires visant à promouvoir la sélection humaine et à créer le surhomme voire le « super » soldat. Ainsi la Science, dont les découvertes sont généralement d’application duale, a-t-elle toujours accompagné et souvent même précédé les réflexions de défense.
La génétique est récente : c’est en 1913 que sont cartographiés pour la première fois les gènes se trouvant le long des chromosomes de la drosophile. 31 ans plus tard, en 1944, on démontre que l’ADN (acide désoxyribonucléique) est la molécule qui porte les informations héréditaires ; c’est en 1967 que le code génétique d’un animal est déchiffré pour la première fois, et c’est récemment que l’on découvre qu’au-delà des gènes, la matière noire et la chromatine jouent aussi un rôle essentiel dans la formation d’un organisme vivant. Naturellement ces avancées ont permis à la fois d’identifier les gènes responsables de maladies, mais aussi ceux intervenant dans des processus tels que la croissance, la masse musculaire, bref tout ce qui intervient dans la formation d’un organisme vivant.
Une dernière avancée « révolutionnaire » récente vient, cependant, relancer le débat de la manipulation génétique et les perspectives magistrales qu’elle laisse entrevoir. En effet, deux chercheuses, une Française, Emmanuelle Charpentier, et une Américaine, Jennifer Doudna, ont associé la technologie du CRISPR-Cas9 (3) au procédé de forçage génétique avec pour conséquence de « pouvoir modifier, supprimer ou réorganiser une séquence d’ADN chez quasiment n’importe quel organisme vivant – êtres humains y compris – de façon rapide et précise » (cf. National Geographic, août 2016, p. 39). En clair, le nouvel outil CRISPR-Cas9 permet de modifier le génome via l’ARN (Acide ribonucléique, une molécule biologique) qui va guider une enzyme, Cas9, chargée de découper l’ADN et plus précisément les nucléotides que l’ARN aura sélectionnés : « Les scientifiques peuvent expédier une “pièce de rechange” n’importe où dans le génome composé de milliards de nucléotides. Quand il atteint sa destination, l’enzyme Cas9 découpe et extrait la séquence d’ADN indésirable. Puis pour colmater la brèche, la chaîne de nucléotides véhiculée par le système CRISPR est insérée » (Ibidem, p. 48). Mais CRISPR-Cas9 a pour conséquence majeure de modifier le génome de manière durable, c’est-à-dire héréditaire : toute modification apportée à un individu sera ainsi transmise à ses successeurs, CRISPR permettant « de réécrire la lignée germinale d’un embryon humain (les cellules contenant le matériel génétique) dont peut hériter la génération suivante afin de corriger une anomalie génétique ou bien améliorer tel ou tel trait » (Ibid. p. 48.).
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