La notion de crise n’est pas simple à définir tant sa nature est fluctuante en fonction des approches. Cependant, pouvoir répondre à une crise est un impératif politique majeur qui nécessite, outre une compréhension multidisciplinaire, de nombreuses ressources venant d’horizons différents.
Décider et agir dans le « brouillard des crises majeures » (T 879)
Decide and act in the "fog of major crises"
The notion of crisis is not easy to define as its nature is fluctuating depending on the approaches. However, being able to respond to a crisis is a major political imperative that requires, in addition to a multidisciplinary understanding, many resources from different horizons.
La crise est un phénomène souvent mal défini voire indéfini. Le terme « crise » est devenu, au fil du temps, un terme attrape-tout (Morin, 1976 ; 2016). On lui confère souvent un sens différent en fonction des événements imprévus et graves auxquels on est confronté voire, au gré des besoins et des agendas politiques. Il est un concept fourre-tout dans lequel sont rangés les états exceptionnels de gravité, d’instabilité, d’incertitude qui n’entrent pas dans les catégories classiques. Cette inadéquation implique souvent des décisions et actions inappropriées. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 est une illustration de cette absence de définition *. Pourtant, depuis la guerre froide, la crise est devenue un concept stratégique autonome (Poirier, 1982 ; Meszaros, 2005). Comment envisager une stratégie de réponse, c’est-à-dire la planification et la coordination des opérations et des moyens en vue d’atteindre un but, si l’on ne connaît pas ce à quoi l’on est confronté ? Ce travail de définition, indispensable si l’on veut sortir du « brouillard » de la crise, a pourtant été réalisé par de nombreux chercheurs. Cette contribution entend ouvrir, avec humilité, tant le sujet nécessiterait de multiples développements, quelques pistes de réflexions pour favoriser la gestion des crises majeures à venir.
La multiplication des crises majeures
Les travaux pionniers sur les crises majeures remontent aux années 1970-1980. Ils soulignent l’importance du facteur technologique dans les crises « hors cadres », la « fin du risque zéro », le « continent des imprévus » auxquels les sociétés sont confrontées ** (Lagadec, 1981 ; 2015 ; Guilhou, Lagadec, 2002 ; Beck, 1986). Depuis, la multiplicité et la diversité des crises ne cessent de brouiller les référentiels traditionnels dans les principaux domaines d’action de l’État, notamment ceux de la sécurité et de la guerre. Ces crises peuvent être fortuites ou induites par des États ou acteurs non-étatiques (voir Rosenthal et al., 1989, p. 5 ; Dufour, 2009). Dans un contexte mondialisé, les crises sont plus fréquentes et leurs effets plus importants. Si le nucléaire a été, et continue d’être, un attracteur crisogène des relations interétatiques, à l’ère post-guerre froide le rôle croissant des acteurs non-étatiques constitue un autre attracteur (terme utilisé en référence à l’ouvrage de Frédéric Ramel L’attraction mondiale, 2012) qui cristallise les tensions négatives. À ce titre les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis inaugurent une ère nouvelle. Les attentats qui ont eu lieu depuis, en Europe et plus particulièrement en France, imposent de repenser les cadres traditionnels de la conflictualité notamment le rapport entre crise, guerre, terrorisme et invitent à reconsidérer l’action de l’État dans le continuum sécurité-défense.
Si l’actualité met en lumière le terrorisme *** comme l’un des principaux facteurs de crise, tout acte de nature terroriste ne génère pas des crises majeures. En tant que forme de violence politique et mode opératoire le terrorisme ne constitue pas une nouveauté en soi. Ce qui semble inédit c’est l’organisation transnationale de groupes qui utilisent toutes les possibilités offertes par la dynamique de la mondialisation : moyens humains, moyens d’action, moyens technologiques d’information et de communication. Dans le large éventail d’opérations menées par des individus isolés ou des groupes organisés, seules certaines attaques produisent, et ont vocation à produire, des crises majeures. Leur objectif stratégique est de déstabiliser les structures étatiques et « déstructurer en profondeur les sociétés ». Cette stratégie d’action consiste à « générer du chaotique », produire des chocs et ruptures suffisamment importants pour entraîner des « décrochages systémiques » et des « incertitudes structurelles » qui rendent caducs les schémas d’action traditionnels (Lagadec, 2015 ; Dobry, 1986). L’alternance entre des actions d’envergure et des attaques limitées, organisées depuis l’étranger ou le territoire national, a pour objectif de restreindre les capacités de prévention, d’instaurer la terreur parmi la population et de produire un phénomène d’attrition.
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