En quelques semaines, la nouvelle administration américaine a précisé ses positions au Moyen-Orient avec une attitude ouvertement anti-iranienne et une réticence à laisser Moscou à la manœuvre. La France a de ce fait un rôle non négligeable à jouer, en valorisant d’ailleurs une initiative européenne.
Le réengagement américain au Moyen-Orient, une opportunité pour la diplomatie française ? (T 889)
US reengagement in the Middle East, an opportunity for French diplomacy
In just a few weeks, the new US administration has clarified its positions in the Middle East with an openly anti-Iranian stance and reluctance to leave Moscow to maneuver. France therefore has a significant role to play in promoting a European initiative.
Après des interrogations justifiées sur la politique extérieure que mènerait le président Trump, les choses se sont précisées en ce qui concerne les objectifs de la nouvelle administration américaine au Moyen-Orient :
• Le bombardement de la base aérienne syrienne d’où était partie l’attaque chimique sur Khan Cheikhoun montre que les États-Unis n’excluent plus un engagement militaire renforcé dans la région et que la responsabilité du régime de Damas dans cette attaque discrédite Bachar el Assad à leurs yeux.
• La politique anti-iranienne de la nouvelle administration est confirmée : elle se traduit par une réaffirmation de l’alliance entre les États-Unis et l’Arabie saoudite (et ses alliés du Golfe) et par une volonté claire de faire refluer l’influence iranienne en Syrie et en Irak.
• Le « grand deal » entre Washington et Moscou ne s’est pas réalisé mais un dialogue s’est instauré qui pourrait déboucher sur un arrangement américano-russe concernant le « post-Daech » dans la région.
Cette nouvelle donne suscite la préoccupation à Téhéran, qui cherche à préserver l’alliance russe et à obtenir des garanties en Europe et auprès de la Chine. Cela amènera-t-il les Iraniens à sortir de leur « hubris » actuel et à accepter de faire des gestes d’apaisement ? Rien n’est moins sûr aujourd’hui, car le développement important de leur influence dans le « Croissant fertile » (Irak, Syrie et Liban) concrétise leur ambition hégémonique dans la région. Et seule une distanciation de la Russie contraindrait Téhéran à rechercher des compromis. La clé d’une stabilisation du Moyen-Orient est donc à Moscou.
Les Saoudiens l’ont bien compris et poussent en conséquence à un accord américano-russe qui aurait pour résultat un coup de frein à l’influence iranienne au Moyen-Orient. Le président Poutine y est sans doute prêt – il n’a pas les moyens de reconstruire la Syrie – mais il souhaitera en tirer un profit, probablement en Ukraine. Et c’est là que les conseillers militaires du président Trump – foncièrement méfiants à l’égard de la Russie – n’accepteront pas n’importe quoi.
Cette équation à plusieurs inconnues ne sera pas facile à résoudre. Mais c’est là que la France dispose d’un certain nombre de cartes pour jouer un rôle utile :
• La légitimité de sa diplomatie au Moyen-Orient n’est pas contestée, car elle y est le pays européen le plus actif.
• Elle a des relations de grande confiance avec l’Égypte et les États arabes du Golfe ; elle a préservé ses liens avec la Turquie d’Erdogan (en dépit des dernières évolutions) et l’Iran nous considère comme un interlocuteur intéressant.
• Les États-Unis et la Russie peuvent être tentés par une négociation bilatérale, mais étant donné les réticences de part et d’autre, nous avons une fenêtre d’opportunité pour prendre une initiative.
Toutefois, pour avoir une chance d’être entendus, nous devrions préciser clairement nos objectifs.
La priorité demeure à l’éradication de Daech. Mais il n’y aura de paix durable dans la région que si l’on prend en compte les facteurs d’instabilité : le sentiment d’exclusion des Sunnites en Syrie et en Irak, l’aspiration des Kurdes au respect de leur identité, le besoin de protection des diverses minorités : alaouites, chrétiens, turkmènes, etc., ainsi que le souci iranien d’être reconnu comme une puissance responsable (à certaines conditions naturellement).
Nous souhaitons donc la préservation des frontières existantes, mais l’instauration de gouvernements « inclusifs » en Syrie et en Irak. Et sur cette base, nous sommes prêts à aider – par nos bons offices – à construire un cadre régional de coopération reposant sur des principes de bon voisinage (non-ingérence, droit de chaque peuple à choisir son régime…) et des mesures de confiance. Une telle proposition pourrait être formulée par le nouveau président de la République, marquant ainsi le souci de la France de continuer à jouer un rôle actif pour stabiliser la région stratégique du Moyen-Orient. Elle aurait naturellement plus de poids si elle prenait la forme d’une initiative européenne – légitimée par le précédent de l’OSCE – qui soulignerait la capacité des Européens à assumer pleinement leurs responsabilités dans les affaires du monde. ♦