« Phare de la mer Rouge », Djibouti essaye de tirer parti de sa position, essentielle pour protéger les routes commerciales et pétrolières. Les Français puis les Américains ne s’y sont pas trompés en construisant des bases militaires; la Chine est la dernière en date à s’y implanter mais les investissements massifs chinois pourraient menacer l’indépendance du pays.
Quel est l’impact de la présence chinoise sur la politique étrangère de Djibouti ? (T 897)
What is the impact of the Chinese presence on Djibouti's foreign policy?
"Red Sea Lighthouse", Djibouti is trying to take advantage of its position, essential to protect the trade and oil routes. The French and then the Americans did not make a mistake in building military bases; China is the latest to set up, but massive Chinese investments could threaten the country's independence.
On attribue à Gabriel Hanotaux (1853-1944), plusieurs fois ministre des Affaires étrangères, cette affirmation visionnaire : « Qui possède la mer Rouge possède le monde ». Le contrôle de cette mer, l’une des principales voies maritimes mondiales, est aujourd’hui au cœur de rivalités internationales. 3,8 millions de barils de pétrole, 90 % des exportations japonaises et 20 % des échanges maritimes globaux circulent sur cette route. Se présentant comme le « phare de la mer Rouge », le petit État djiboutien compte bien tirer parti de sa localisation géographique.
Avec ses 314 kilomètres de côtes, Djibouti a une carte à jouer dans la maritimisation des échanges mondiaux. La Chine ne s’y est pas trompée et a décidé de faire de ce territoire aride une tête de pont vers une Afrique de l’Est en pleine émergence. Bien que cette région soit et reste l’une des plus conflictuelles du continent, elle est également celle qui aura certainement le plus tiré profit des évolutions du système international. En effet, la lutte contre le terrorisme dans le Golfe comme en Somalie, puis la lutte contre la piraterie dans le Golfe d’Aden ont offert une fenêtre d’opportunité stratégique pour les régimes de la région, l’Éthiopie et Djibouti en tête.
Si la France, installée à Djibouti depuis la fin du XIXe siècle, avait un coup d’avance dans ce nouveau grand jeu, elle semble s’être faite distancer par d’autres puissances. La présence américaine, d’abord perçue comme une concurrence inacceptable dans le pré carré français, a finalement été acceptée et s’est cantonnée aux problématiques sécuritaires régionales. Économiquement, ce sont les pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis, qui ont massivement investi dans le pays au début du XXIe siècle, avant de se replier chez les voisins. Aujourd’hui, Djibouti est devenu la figure de proue de l’engagement chinois sur le continent africain et un passage clé dans sa stratégie de One Road, One Belt.
La construction d’une base militaire chinoise à Djibouti a été largement médiatisée (NDLR : Tribunes n° 619 et 753), mais l’intérêt premier de la Chine à Djibouti est économique. Les projets chinois (ports, chemins de fer, routes, aéroports, zone franche, etc.) représentent des investissements de près de 14 milliards de dollars depuis 2012, dont une partie sous forme de prêts. La stratégie du Président djiboutien de diversifier ses partenaires, et donc ses dépendances, fut judicieuse. Elle a permis à son pays de jouer la carte de la concurrence des partenaires internationaux entre eux. Mais l’afflux d’investissement chinois semble faire à nouveau peser des menaces sur l’autonomie du pays. En effet, avec une dette évaluée à 80 % du PIB, Djibouti pourrait se retrouver dans une inconfortable posture de vassalité.
Conscient d’être passé d’une dépendance unique (avec la France) à une autre (la Chine), le pays voit émerger ces derniers mois deux tendances dans sa politique étrangère.
Tout d’abord, le régime djiboutien tente de rassurer ses partenaires traditionnels, la France en tête. Quand le biographe du Président, en 2016, qualifiait la relation avec la France de « fondamentale et relative » et ajoutait que « le vide laissé par leur désintérêt [français] n’a jamais été aussi rempli » (Chérif Ouazani, p. 169), le président Ismaïl Omar Guelleh, lui, voulait rassurer lors de sa visite en France en mars 2017, en déclarant : « séculaires et privilégiés, les liens entre nos pays sont appelés à progresser » (Djibouti Telecom, 3 mars 2017).
Ensuite, le régime semble vouloir revitaliser sa diplomatie et investir les institutions internationales. Il est exceptionnel qu’un si petit pays puisse se prévaloir d’une cinquantaine de représentations diplomatiques dans le monde. Le pays essaie également d’obtenir des postes clés dans les organisations internationales. Déjà présent au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), à la Banque africaine de développement (BAD), au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), à l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) et à l’Organisation de la coopération islamique (OCI), Djibouti a présenté deux candidats au poste de vice-président de la Commission de l’Union africaine (UA) ainsi qu’au département des Affaires politiques. Il a également effectué le paiement des arriérés de contributions statutaires à la Francophonie.
Il est possible de s’interroger sur la stratégie djiboutienne face à la Chine, qui n’est pas en effet sans poser un certain nombre de questions aux observateurs. Nous avons ici tenté d’apporter quelques éléments à ce sujet et d’avancer plusieurs tendances destinées à éclairer l’analyse en la guidant, sans toutefois l’orienter de manière rigide.
Au-delà encore, nous pouvons aussi déceler dans cette région du monde des indices nous permettant de comprendre l’évolution plus générale du système international. Djibouti, en effet, est à l’interstice des mondes et participe à redessiner une carte alternative. En 1977, en étant le dernier pays à accéder à l’indépendance, Djibouti était le symbole de la fin de l’Empire français. Aujourd’hui encore, le petit pays représente un autre symbole, celui d’un monde dont les normes ne proviennent plus uniquement du centre occidental vers la périphérie. Il symbolise pour ainsi dire la décentralisation du monde.
Élément de bibliographie
Ouazani Chérif : Ismaïl Omar Guelleh. Une histoire de Djibouti ; Jaguar Édition-Conseil, 2016.