La défense allemande est en pleine évolution avec une volonté politique d’accroître les moyens consacrées aux armées, un engagement plus important sur la scène internationale mais dans un cadre strictement contrôlé d’autant plus que l’opinion publique allemande reste marquée par une approche pacifiste de la gestion de crise.
L’Allemagne, une puissance sécuritaire en devenir ? (T 902)
Germany, a safe power in the making?
The German defense is evolving with a political will to increase the resources devoted to the armies, a greater commitment on the international scene but in a strictly controlled framework especially as German public opinion remains marked by a pacifist approach crisis management.
Dès 1995, le président allemand Roman Herzog prenait position en faveur d’une prise de responsabilité accrue de son pays. 21 ans après, le 13 juillet 2016, le Livre blanc de la Défense allemand (le premier depuis 2006) consacrait le retour aux affaires d’une Allemagne qu’on pensait échaudée par l’expérience afghane. Se déclarant volontiers « acteur central en Europe », notre voisin se dit enfin prêt à assumer ses responsabilités face aux crises sécuritaires. Avec l’inscription de cette ambition dans un document d’orientation stratégique, Ursula von der Leyen, ministre de la Défense, réaffirme sa volonté de voir son pays contribuer de manière active à la sécurité internationale. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, le budget de la Bundeswehr va augmenter pour atteindre 40 milliards d’euros en 2021 (34,29 Mds en 2016 et 37 Mds en 2017).
Les paradigmes de défense allemands n’en sont pas pour autant bouleversés. Le budget de la défense porté aux 2 % du PIB demandés par l’Otan continue d’être remis en cause. L’Allemagne compte toujours autant sur les organisations et la coopération internationales par le biais de l’Otan, l’ONU, l’UE et l’OSCE pour assurer sa sécurité. On observe cependant le changement de statut de la Russie qui, de « partenaire » en 2006, devient un trouble-fête en mesure de remettre en question la paix en Europe. L’Allemagne vit donc un tournant stratégique en adoptant une attitude décomplexée vis-à-vis des questions de défense et en mettant en œuvre des mesures concrètes, augmentant son engagement sécuritaire dans des zones de conflit. Néanmoins, ce choix est loin de faire l’unanimité en Allemagne, où les sociaux-démocrates du SPD mènent une contestation pacifiste par le biais de Sigmar Gabriel, ancien ministre de l’Économie et désormais ministre des Affaires étrangères. Engagé dans une réforme de vision, notre voisin doit désormais arriver à concilier les forces politiques et de la société civile pour adopter une posture cohérente vis-à-vis de ses interlocuteurs étrangers.
Un pacifisme solidement ancré dans la population
Appelée de ses vœux par la ministre de la Défense, cette prise de responsabilité de l’Allemagne dérange à l’intérieur de ses frontières. Elle se heurte en effet aux réminiscences d’une mouvance pacifiste née après la Seconde Guerre mondiale pour s’opposer à la guerre froide et aux armes nucléaires. Ces Ostermärsche, de tradition résolument antimilitariste et antinucléaire, rassemblaient ainsi 700 000 personnes lors de défilés partout en Allemagne en 1983. En 1996, la refondation des forces spéciales allemandes donnait l’occasion à cette mouvance de donner de la voix devant le siège des Kommando Spezialkräfte (KSK) à Calw (Bade-Wurtemberg). Dans la tradition de combat du passé nazi, ces manifestants réclamaient la fin de la « politique de puissance allemande » et la démilitarisation de l’Allemagne. Avec l’entrée du parti Bündnis 90/Die Grünen au Parlement fédéral en 1993, les pacifistes disposent même d’un moyen politique de contestation, qu’ils ne manquent pas d’utiliser : le 18 décembre 1996 est déposée une motion contenant 53 questions parlementaires concernant les KSK. Aujourd’hui en perte de vitesse, le parti écologiste peut néanmoins compter sur le soutien d’une large partie de la gauche, incluant le SPD et Die Linke.
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