Les forces françaises démontrent leur excellence en opération, au prix de multiples sacrifices, imposées par des réformes trop souvent aggravées par des réductions budgétaires draconiennes. Un changement d’orientation s’impose pour redonner à notre défense les moyens indispensables pour garantir la sécurité de notre pays.
Quel projet pour notre défense
What project for our defense
The French forces demonstrate their excellence during operation, at price of multiple sacrifices imposed by aggravated reforms from the draconian budgetary reductions. A change of adjustment will be imposed to give our defense the indispensable ways back to guarantee the security of our country.
Les attentats à répétition qui ont ensanglanté notre pays depuis janvier 2015 ont brutalement mis en lumière la réalité d’un monde déréglé et dangereux dont il serait illusoire d’espérer nous tenir à l’écart. La sécurité est donc légitimement devenue la préoccupation première des Français, et s’il est une mission régalienne qui ne saurait tolérer la moindre faiblesse ou négligence, c’est bien la protection de notre territoire et de nos concitoyens.
Alors que tant d’autres pays européens avaient cru pouvoir désarmer sans risque, la France a la chance de pouvoir compter sur un outil de défense patiemment constitué depuis un demi-siècle, d’abord grâce au général de Gaulle, qui a doté notre pays d’une dissuasion nucléaire indépendante, puis grâce à Jacques Chirac, qui a pris la décision de passer à l’armée professionnelle dont, depuis lors, nos engagements militaires successifs ont confirmé la nécessité.
Au cours des vingt dernières années, nos forces armées ont ainsi connu l’une des plus importantes mutations de leur histoire, mais au prix d’un effort de réduction et de réorganisation souvent brutal, aggravé par les contraintes budgétaires. La valeur reconnue de nos soldats, marins et aviateurs, dont le comportement et les sacrifices au combat suscitent l’admiration partout dans le monde,
l’excellence que notre industrie de défense a su maintenir dans des domaines essentiels sont des atouts que la France, après le Brexit, sera seule à posséder dans l’Union européenne : les préserver devrait être la priorité constante de nos gouvernants.
Un outil de défense exceptionnel à la pérennité menacée
Or, la pérennité de cet outil de premier ordre n’est pas garantie. Le Livre blanc de 2013 avait imposé à nos armées une réduction uniforme de format et une révision à la baisse de leurs contrats opérationnels peu compatible avec la réalité de nos engagements. À la suite des attentats de 2015, une correction de trajectoire opportune a eu lieu, portant principalement sur le format de l’Armée de terre. Mais elle ne produira tous ses résultats qu’à la fin de 2017, sans compenser pour autant tous les effets de la sollicitation dont nos forces font l’objet.
La multiplication d’opérations extérieures de longue durée et le déploiement du dispositif Sentinelle font peser, sur les hommes et les femmes qu’ils mobilisent de façon intensive, une contrainte à la limite du soutenable. En réponse aux attentats, le déploiement massif de l’armée sur le territoire national était justifié par l’urgence de rassurer nos concitoyens et de dissuader de nouvelles attaques. Si j’ai salué sans réserve le dévouement et le professionnalisme dont ont alors fait preuve nos militaires, j’ai été l’un des premiers à souligner que la prolongation de cette opération allait poser problème, comme c’est effectivement le cas.
De fait, la popularité que celle-ci a value aux forces armées ne saurait indéfiniment compenser les contraintes très lourdes qu’elle impose aux personnels et à leurs familles et qui, dans le cas de missions fort éloignées de la motivation initiale, risquent de peser sur l’attractivité du métier des armes. En outre, l’entraînement de nos forces en a largement pâti, au risque de compromettre leur capacité à répondre aux exigences du combat de haute intensité. Et malgré un premier effort de réflexion, le concept d’emploi des armées sur le territoire national, correspondant à leur vocation et à leurs modes d’action spécifiques, reste encore largement à construire par rapport à celui des forces de sécurité intérieure.
La situation de nos forces armées est également préoccupante et parfois critique en ce qui concerne l’équipement. Les acrobaties auxquelles ont donné lieu les lois de programmation successives ont abouti à créer de graves lacunes dans nos capacités. Nombre d’équipements indispensables (avions de transport tactique, véhicules blindés terrestres, patrouilleurs, etc.) ont outrepassé leur durée de vie théorique et sont prolongés tant bien que mal en attendant que leurs successeurs arrivent en nombre suffisant. Ainsi, aucun de nos engagements récents n’aurait pu se faire sans l’appui de nos alliés, notamment américains, ou sans l’acquisition à l’étranger de matériels indispensables (drones Reaper). Enfin, l’utilisation intensive de nos moyens en opération entraîne l’épuisement de stocks de munitions déjà sous-dimensionnés et l’usure accélérée de nos matériels, sans que les budgets permettent de reconstituer le potentiel au même rythme. La France, il faut en être conscient, n’est pas à l’abri d’une situation de rupture humaine et capacitaire comparable à celle qu’ont connue nos amis britanniques au sortir de leurs engagements en Irak et en Afghanistan, et dont ils n’ont pas fini de se remettre.
L’actualisation de la loi de programmation militaire en 2015 puis en 2016 a certes prévu une remontée des crédits budgétaires – surtout au-delà de 2017 – mais celle-ci sera en majorité consommée par les dépenses de personnel, laissant subsister de nombreuses hypothèques sur l’avenir. Sans parler des besoins futurs déjà connus, notamment le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire dont il faudra poser les premiers jalons dès la prochaine loi de programmation, comment accepter que des fonctions aussi critiques que le maintien en condition opérationnelle ou l’approvisionnement en pièces de rechange ne soient pas convenablement assurées faute de financement suffisant ?
Un contexte international durablement menaçant
L’espoir d’un monde pacifié qu’avait un moment suscité la fin de la guerre froide n’a pas résisté à l’épreuve de la réalité. Les foyers de tension et de crise se sont multipliés du Sahel au Moyen-Orient comme en Asie, le terrorisme d’inspiration djihadiste a changé d’échelle, les événements de Géorgie et d’Ukraine ont rappelé que le retour de la guerre en Europe n’était pas un pur fantasme.
Au lieu de s’estomper, les rapports de force entre les grandes puissances se sont de nouveau durcis, paralysant ainsi largement le Conseil de sécurité. Tandis que la Russie et la Chine marquent leur volonté de contrer les États-Unis, ces derniers ont renoncé, sous la présidence Obama, aux démonstrations de force de l’ère précédente. Des pays de moindre rang deviennent des acteurs autonomes et mettent en œuvre des stratégies de puissance centrées sur la poursuite de leurs intérêts propres, comme en témoigne l’interminable tragédie syrienne. Partout dans le monde, l’heure est à la course aux armements et les risques de confrontation se multiplient, notamment dans les espaces communs – maritimes en particulier, mais aussi aériens et extra-atmosphériques, sans oublier le cyberespace, exposé aussi bien à l’action déstabilisatrice de certains États qu’aux groupes criminels ou terroristes, habiles à tirer parti des vulnérabilités de nos sociétés ouvertes.
Face à de tels défis, la France doit en premier lieu rappeler, avec toute la légitimité que lui confère l’indépendance de sa politique étrangère, que le monde a besoin de règles communes et ne peut s’abandonner à la loi du plus fort. Mais elle ne sera écoutée que si elle est à l’abri de toute tentative de chantage ou de pression militaire. C’est pourquoi le maintien du niveau de suffisance et de la crédibilité de sa dissuasion nucléaire, garantie suprême de la sécurité de la Nation, demeure un impératif indispensable.
Au-delà du nucléaire qui nous protège contre toute agression étatique visant nos intérêts vitaux, la crédibilité globale de notre outil de défense est primordiale pour nous garantir d’être en mesure de dissuader ou de contrer les autres menaces et d’assumer nos responsabilités dans notre environnement stratégique. Or, les menaces contre lesquelles nous devons nous défendre revêtent de multiples visages : aussi notre pays doit-il continuer de développer un modèle d’armée complet, incorporant les technologies les plus avancées, nécessaires pour faire pièce aux armements perfectionnés de certains États – notamment les capacités anti-accès – que dans le cadre de conflits asymétriques.
Combattre le terrorisme à la racine
Perçu aujourd’hui comme la menace principale par les Français, le terrorisme djihadiste doit être combattu sans relâche sur notre sol. Ce combat doit être mené dans le cadre de notre droit républicain et passe par la mobilisation de tous les acteurs concernés – services de renseignement, forces de sécurité intérieure avec l’appui des forces armées, justice, éducation, etc. Mais la sécurité des Français et des Européens impose de neutraliser ce mal là où il naît.
Le cas du Mali où l’action de la France a été décisive pour empêcher la conquête du pouvoir par les islamistes radicaux est à cet égard exemplaire. Il montre en effet que la rapidité de la prise de décision et l’intensité de l’intervention initiale comptent au moins autant que l’ampleur des moyens militaires engagés. Mais il enseigne aussi que la stabilisation durable des foyers de crise exige la mise en œuvre d’une approche globale, autant civile que militaire, impliquant la mobilisation de tous les volets disponibles, notamment l’aide au développement. Il atteste, en outre, que le succès passe par l’engagement résolu des États locaux, dont les populations sont les premières victimes du terrorisme.
La lutte collective qui conduira à défaire Al-Qaïda et Daesh ne peut pas être seulement militaire. Elle doit prendre en considération tous les facteurs – politiques, culturels, économiques ou démographiques – qui du Sahel au Levant fragilisent de nombreux États après en avoir plongé d’autres dans le chaos, provoquant des centaines de milliers de victimes et des vagues de migration massives.
Renforcer la dimension collective de notre sécurité
Si la France a des responsabilités particulières, elle ne saurait dissocier sa propre sécurité de celle de ses partenaires et alliés, européens et nord-américains. Sur ce point, j’ai toujours pensé qu’opposer l’attachement à l’Alliance atlantique et l’ambition d’une Europe de la défense était une erreur. L’un ne va pas sans l’autre à l’heure où la politique de la Russie en Ukraine suscite chez plusieurs de nos voisins une inquiétude compréhensible, amenant l’Otan, France comprise, à adopter des mesures de réassurance raisonnables. Au surplus, il y a lieu de constater que, loin de s’y opposer comme naguère, les États-Unis pressent aujourd’hui les Européens d’assumer davantage la responsabilité de leur défense.
Le fait que les membres de l’Otan se soient engagés sur l’objectif de consacrer 2 % de leur PIB à la défense d’ici une décennie constitue, en l’espèce, un réel progrès. En outre, tandis que la Grande-Bretagne et l’Allemagne augmentent déjà significativement leurs dépenses militaires, l’annonce du Brexit semble accélérer une prise de conscience salutaire dans le reste de l’Union européenne. Une dynamique européenne paraît enfin possible à condition de lui fixer des objectifs réalistes, sans prétendre se substituer à l’Otan face aux menaces les plus graves. Sur le modèle du Traité de Lancaster House entre la France et le Royaume-Uni, il faut promouvoir les coopérations bilatérales avec l’Allemagne et d’autres nations volontaires, afin de développer les synergies industrielles, les coopérations en matière d’équipements, la mutualisation de capacités critiques pour les engagements, l’entraînement conjoint des forces, etc. Un tel effort ne peut au demeurant que renforcer l’Alliance atlantique.
Quatre impératifs pour l’avenir
L’objectif d’un outil de défense consolidé et adapté à un environnement toujours mouvant peut être réalisé à la condition de faire preuve de constance dans la mise en œuvre simultanée de quatre orientations majeures.
Il est nécessaire, d’abord, de rétablir la cohérence de notre outil de défense, militaire, nucléaire et industriel, aujourd’hui mise à mal par des lacunes et des impasses parfois criantes. Précédée d’une revue stratégique, une nouvelle loi de programmation sera nécessaire pour restaurer la concordance indispensable entre les capacités, les contrats opérationnels et la trajectoire budgétaire : les effectifs, bien sûr, mais aussi l’entraînement et les infrastructures ; les équipements majeurs et le fonctionnement courant ; les urgences opérationnelles, les consommables et le maintien en condition opérationnelle. Sans oublier, bien entendu, la recherche amont, le développement des technologies et la conduite des programmes d’armement, grâce auxquels nous pourrons maintenir au plus haut niveau les compétences et l’outil industriel de nos entreprises.
Il est urgent ensuite de redonner de la clarté à l’engagement de nos armées sur le territoire national. Celles-ci doivent se voir assigner des missions correspondant à la spécificité des concours qu’elles sont capables d’apporter aux forces de sécurité intérieure, comme c’est déjà le cas pour la Marine nationale et l’Armée de l’air. Parallèlement, grâce aux nombreux Français qui acceptent de donner de leur temps pour une cause nationale, le renforcement très significatif de la réserve, prévu lors du passage à l’armée professionnelle, mais trop longtemps négligé, permettra de contribuer au maillage sécuritaire du territoire dont nous risquons d’avoir besoin pour longtemps encore.
Rien ne sera bien entendu possible sans des engagements budgétaires crédibles, qui mettent la défense à l’abri de servir de variable d’ajustement des finances de l’État. J’estime, pour ma part, qu’une augmentation régulière des crédits alloués à la défense, fondée sur l’objectif d’avoir accru son budget d’au moins 7 milliards d’euros à la fin du prochain quinquennat, est à la fois compatible avec le redressement des comptes publics et avec l’impératif, pour moi prioritaire, de cohérence de notre outil de défense. Cet effort devra privilégier les dépenses qui auront la plus grande valeur ajoutée en termes opérationnels, technologiques et industriels. En raison notamment du besoin de renouvellement des composantes de notre dissuasion nucléaire, il devra se prolonger au-delà, afin d’atteindre en une décennie l’objectif de 2 % du PIB.
Enfin, une attention particulière devra être portée à la condition militaire, car la défense de notre pays repose avant tout sur les hommes et les femmes qui ont choisi le métier des armes. Ainsi, devront être poursuivis les efforts entrepris sur le plan des rémunérations, des conditions de travail et des avantages sociaux : l’équité commande de prendre davantage en compte les sujétions et spécificités du statut militaire afin d’éviter que ne se creuse un fossé avec la fonction publique civile. En outre, un effort de solidarité accru s’impose en faveur de ceux et celles qui ont été blessés au combat, tandis que l’accompagnement des familles endeuillées devra être renforcé : c’est le moins que la Nation puisse faire pour témoigner de sa reconnaissance à l’endroit des hommes et des femmes qui la défendent au risque de leur vie.
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La mise en œuvre de ces orientations sur lesquelles je m’engage permettra à notre défense de jouer un rôle majeur dans la dynamique européenne qu’il importe d’encourager, car face à l’ampleur des défis du XXIe siècle, il serait illusoire de croire que notre sécurité résisterait au délitement de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique.
L’effort que nous consacrerons à notre défense contribuera aussi à mieux sensibiliser les Français aux valeurs qui sont à la base de l’engagement militaire et dont le partage accru ne peut que renforcer la cohésion nationale – au premier chef, la solidarité et le don de soi. Si l’armée n’a plus vocation à être un point de passage obligé pour tous les jeunes Français, je suis convaincu qu’une politique ambitieuse pour la réserve, l’ouverture à un plus grand nombre de jeunes du service militaire volontaire ou du service militaire adapté en Outre-Mer et la mise à l’honneur des vétérans, participeront de ce resserrement du lien social dont notre pays a tant besoin. ♦