Mai 1940 a vu la plus grande défaite militaire de la France. Les causes sont multiples dont la défaillance du haut commandement et l’incapacité à recueillir le renseignement. Malgré tout, les unités françaises se sont battues courageusement comme durant la bataille de Stonne où des bataillons ont essayé de contre-attaquer.
Histoire militaire - Mai 1940, le triomphe d’une stratégie – La bataille de Stonne
Military History—May 1940, a Triumph of Strategy at the Battle of Stonne
In May 1940 France suffered its greatest military defeat. There are many reasons for this among which failures of the high command and an inability to gather intelligence. Despite everything, French units fought courageously—an example being the battle of Stonne, in which battalions attempted to counter-attack.
Le triomphe d’une stratégie
La victoire allemande à l’ouest détermina tout le cours ultérieur du conflit. Elle fit du Reich le maître du continent. Sa libération future serait donc pour les Alliés l’unique solution pour parvenir à la victoire. La conduite de la stratégie des grands belligérants s’en trouva donc irrémédiablement modifiée.
Le Reich allait se trouver placé devant une alternative stratégique inédite : soit décider de débarquer des troupes en Grande-Bretagne – option imaginée ou prévue par aucun de ses stratèges – ou bien adopter à l’ouest une position défensive afin de conduire à l’est un projet initial de conquêtes – dans cette option encore, aucun de ses dirigeants politiques ou militaires n’en avait estimé ou prévu les risques et mesuré les conséquences.
La Grande-Bretagne estimait que, désormais, elle n’avait aucune chance de vaincre le Reich sans le soutien des États-Unis ou de l’Union soviétique, ou des deux à la fois, et que, dans cette attente, elle ne pourrait que ne se livrer qu’à des actions périphériques.
Quand l’Amérique se joindrait à elle, leur projet stratégique essentiel et commun serait le débarquement en Europe. La guerre, jusqu’alors continentale, prendrait une nouvelle tournure, ce serait la mer contre la terre. Jamais, auparavant, les stratèges britanniques n’avaient imaginé autre chose qu’une guerre où le théâtre principal se trouverait établi sur le théâtre européen, et si certains avaient imaginé donner la priorité au blocus naval contre l’Allemagne, ou aux bombardements stratégiques, ou enfin à la bataille aéroterrestre, personne n’avait imaginé que la victoire devrait passer par un débarquement, à l’échelle du continent.
La direction soviétique, elle-même, en décidant la conclusion d’un pacte avec le Reich hitlérien, n’avait pas seulement refusé de participer à une guerre qui se présentait pour elle dans des conditions qu’elle estimait très défavorables ou même inacceptables : Staline avait spéculé sur la prolongation d’un conflit entre l’Allemagne et les démocraties occidentales, quitte à y prendre sa place ultérieurement. Pour lui également, la victoire allemande à l’ouest modifiait radicalement la donne stratégique et le forçait à entrevoir, à court ou moyen terme, une lutte à mort avec une Allemagne totalement maîtresse du continent.
Longtemps après et à froid, un aussi radical bouleversement du cours de la guerre paraît cependant inévitable, tant les causes en ont été souvent analysées. Mais, sur le moment, ce fut un choc ressenti comme sans précédent, peut-être dans l’histoire. On parlait de la pire défaite de la France depuis Azincourt. En quelques semaines, la puissance militaire française, réputée comme une des plus puissantes au monde, la deuxième ou troisième avec celles du Reich et de l’Union soviétique, mais plus stable que l’allemande, et plus crédible que la russe, auréolée de la victoire de 1918 autant que de la gloire des siècles passés, commandée par des chefs qui avaient compté parmi les vainqueurs, s’effondra sans appel. Du même coup, la France, le plus ancien et le plus étendu État européen occidental, cessa de compter sur la scène internationale où elle était encore, quelques semaines plus tôt, l’un des cinq ou six acteurs principaux.
Quatre-vingts ans plus tard, on a du mal à imaginer le choc que cette défaite fut pour le monde, quel tremblement de terre, quelle sidération ce fut pour les Français, alors convaincus qu’ils étaient l’une des plus grandes nations ; pour les Alliés également qui partageaient la même certitude ; pour leurs vainqueurs eux-mêmes. Ce choc se répandit jusque dans son Empire, non directement touché par les combats, mais au sein duquel la puissance tutélaire avait perdu son aura de puissance vainqueur. La puissance de ce choc explique pourquoi, alors que le glaive allait être relevé par un très jeune général, il ne rencontra initialement qu’une audience et un soutien très mesurés, en métropole, dans l’Empire et chez les Alliés, à l’exception de Churchill.
La bataille de Stonne
Ce que l’on appelle la « butte de Stonne » correspond à un mouvement de terrain, au sud du cours moyen de la Meuse, lorsque le fleuve sort des Hauts de Meuse, et avant qu’il ne longe par le sud, le massif ardennais. À ce titre, son intérêt militaire est double : la butte commande d’une part la zone de Sedan, et de l’autre, celle de Montmédy-Longuyon. Dans le contexte particulier de l’offensive allemande sur la Meuse de Sedan, la possession de cette butte s’avère donc de première importance, tant pour l’assaillant, Guderian, commandant le XIXe corps d’armée blindé qui agit sur la Meuse de Sedan, que pour le défenseur, le général Huntziger, commandant la 2e armée, en charge de la défense de la Meuse.
En effet, les Allemands étant parvenus, le 14 mai 1940, à franchir la Meuse à l’ouest de Sedan, à hauteur de Flize, et à s’emparer de la première hauteur au sud de la coupure, couverte par le bois de la Marfée. Guderian se trouve néanmoins dans une position de déséquilibre tactique, car il demeure sous la menace d’une contre-attaque de flanc, pouvant déboucher de la zone de Stonne. Par ailleurs, s’il veut manœuvrer en sûreté, il lui est impératif de s’emparer de cette butte, ce qui lui permettrait de verrouiller sa zone de franchissement, tout en encageant sa zone d’action sur le cours moyen de la Meuse.
Pour Huntziger, l’intérêt de conserver ce point clé est double. D’une part, comme cela vient d’être exposé, il bénéficie d’un excellent débouché pour contre-attaquer de flanc la zone de franchissement allemande ; contre-attaque, si elle réussissait, lui permettrait d’interrompre les flux allemands et de couper le soutien logistique des unités blindées allemandes, manœuvrant dès lors, en enfants perdus au-delà de la Meuse. D’autre part, la possession de la butte permet au commandant de la 2e armée d’assurer la pérennité de la cohérence du dispositif français, en empêchant les Allemands de tourner l’extrémité ouest de la zone des ouvrages de la ligne Maginot, dont le plus avancé, l’ouvrage de La Ferté, défendant la trouée de Malmedy, est couvert par la butte de Stonne.
Aussi, c’est dans ce contexte opérationnel général que, le 15 mai, deux manœuvres simultanées s’engagent. Guderian lance le régiment Gross Deutschland, en fait une brigade d’infanterie disposant de tous ses appuis internes à l’assaut de la butte de Stonne. Huntziger, quant à lui, conformément aux travaux de planification froide réalisés au cours de la « Drôle de guerre », lance une manœuvre d’armée destinée à rétablir son dispositif. Le 10e CA (général Grandsart) contre-attaquerait frontalement les unités allemandes ayant franchi la coupure et débouchant du bois de la Marfée, le 21e CA (général Flavigny), renforcé de la 3e division cuirassée (DCR) (1), mise à sa disposition par le GQG, devait contre-attaquer le même objectif ennemi sur son flanc est. L’affaire échoue faute de préparation et d’une mauvaise coordination de la manœuvre des deux corps d’armée par l’échelon supérieur, à savoir l’armée, en l’occurrence Huntziger, insuffisamment directif vis-à-vis de ses deux subordonnés, et par une mauvaise estimation de l’ennemi, due à une absence de renseignements précis et justes sur la réalité de la nature et du volume de l’ennemi ayant réellement franchi la Meuse. La butte tombe alors aux mains de l’ennemi.
Le GQG ordonne non seulement sa reprise, mais de contre-attaquer en direction de la Meuse de Sedan. Dans cette action, Flavigny, pourtant cavalier qui a conçu et mis sur pied la 1re division légère mécanique (DLM) et dont, à ce titre, le commandement est donc en droit d’attendre qu’il sache manœuvrer une grande unité blindée, dissocie la DCR qui lui est affectée en « bouchons antichars » du volume de la compagnie de chars ; ce qui rend irréaliste et inopérante toute notion de contre-attaque, laquelle aurait nécessité l’engagement groupé de la division, soutenue par la 3e DIM.
In fine, des combats décentralisés au niveau du bataillon vont s’enchaîner, au rythme de la perte et de la reprise de la butte par chacun des assaillants, pour aboutir, le 25 mai, à la perte définitive de Stonne par les Français. Mais, à cette date, les blindés allemands auront déjà atteint la Manche et les premiers rembarquements britanniques ne vont pas tarder.
Ces combats ont été comparés, des deux côtés, à ceux de Verdun lors de la guerre précédente, ce qui donne une idée de leur degré d’intensité. À ce titre, Stonne figure parmi les combats emblématiques de la campagne de France de 1940. ♦
(1) La lettre « R » de ce sigle signifie « de Réserve ». Ce n’est aucunement une référence à la nature du personnel qui l’arme, mais au fait qu’elle constitue la réserve générale du GQG, organe de commandement auquel elles sont subordonnées. Il est significatif de constater que, dans la bataille, le premier souci du GQG sera de les ventiler à telle ou telle armée qui ne connaissent rien de leurs règles d’engagement et dont les 4es bureaux ne sont pas dimensionnés pour en assurer un soutien logistique cohérent.