L’intelligence artificielle accélère le tempo de la guerre, en permettant le traitement de nombreuses données, leur exploitation puis l’appui à la décision. Le risque est de voir celle-ci échapper au filtre du chef militaire. Il convient donc d’établir les processus évitant ce travers, renforçant à la fois la place du chef et les bénéfices apportés par l’IA.
Maîtriser l’information afin d’anticiper les conflits, les gagner, voire les éviter
Controlling Information in Order to Anticipate and Win or Avoid Conflicts
Artificial intelligence is increasing the tempo of warfare by enabling massive amounts of data handling and exploitation in support of the decisional process. The risk is that the decision could be taken away from the military chief: it is therefore necessary to establish processes which avoid this error, strengthen the position of the chief and boost the benefits to be gained from AI.
L’évolution rapide des nouvelles technologies et des enjeux géopolitiques ont eu, et auront, un impact significatif et durable sur les modèles d’armées. Le système est remis en cause. L’utilisation de technologies de rupture offre certes des avantages en termes d’efficacité, de précision et de capacité de frappe, cependant, l’accent mis exclusivement sur la technologie peut entraîner une dépendance excessive et des vulnérabilités en cas de défaillance technique ou de cyber-attaques. Si les applications militaires actuelles de l’Intelligence artificielle (IA) sont encore limitées, elles pourraient néanmoins se développer rapidement à court et moyen termes.
L’intelligence artificielle et l’art de la guerre
L’intérêt de l’IA dans le domaine de la défense, du renseignement et de la sécurité est de simplifier et d’accélérer le traitement, le classement et l’analyse de la masse de données qu’elle peut récupérer en l’espace d’une durée restreinte. Sur la base de simples mots-clés, concepts, lieux, personnalités… l’IA est dans la capacité de fusionner en temps réel, une multitude d’informations et, le cas échéant, d’avoir une vision instantanée la plus correcte possible du dispositif ennemi pour agir en connaissance de cause sur le théâtre des opérations militaires.
Elle renforce les capacités de détection et de surveillance et, de ce fait, permet une prise de décision plus rapide. Elle possède un large champ de manœuvres en ce qui concerne la planification des aspects logistiques en matière de maintien de conditions opérationnelles. Par exemple, elle anticipe le fonctionnement d’avions, de navires, de chars en optimisant les opérations militaires. Le programme Artemis (Architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multisources ), lancé en 2017 par la Direction générale de l’armement (DGA), poursuit ce but.
Par ailleurs, grâce à l’apprentissage automatique et l’analyse prédictive qui permettent de détecter les schémas de comportements anormaux et identifier les tentatives d’intrusion, l’IA joue un rôle crucial dans la protection des systèmes informatiques et la prévention des cyberattaques en croissance exponentielle.
Incontestablement, la vitesse d’exécution des algorithmes est, et sera, un avantage considérable en matière d’anticipation, de décision puis d’action. Aujourd’hui, maîtriser l’information, reviendra à disposer d’une supériorité informationnelle sur son ennemi. Qui disposera d’un avantage significatif en termes d’IA ?
Une transformation de la guerre reliée à des algorithmes
Les avancées de l’intelligence artificielle dans le domaine de la défense sont prometteuses et ont la possibilité de transformer les opérations militaires.
Les États-Unis, la Chine et certains États européens ont investi massivement dans la recherche et le développement de l’IA militaire. La France doit garder ses objectifs d’envergure si elle ne souhaite pas prendre du retard et courir le risque d’être opérationnellement défaillante. La collaboration entre les États, les entreprises et les institutions académiques reste encore limitée. Constatons cependant une amorce de synergies et de partenariats entre les différents acteurs qu’il convient de développer.
À l’heure actuelle, les armées intègrent l’IA aux drones, aux robots terrestres et aux systèmes informatiques dans leurs opérations, ce qui transforme les méthodes de combat traditionnelles. Les décisions militaires vont commencer à se rapprocher d’une logique qui nous dépasse. Ainsi, on peut légitimement s’interroger ; ne courrons-nous pas le risque de voir – immédiateté oblige – des décisions suggérées et finalisées prises par des algorithmes sans intermédiaire humain ?
Les algorithmes d’analyse prédictive doivent être utilisés afin d’évaluer les risques, prévoir les mouvements de troupes adverses et prendre des décisions stratégiques éclairées. Ces capacités permettront d’améliorer l’efficacité opérationnelle et de réduire les pertes.
L’information au service de l’armée : défis et perspectives
L’IA est formée à partir de données historiquement datées, et si ces données contiennent des biais ou des préjugés, cela peut être amplifié par les modèles d’apprentissage automatique. À terme, l’on peut courir le risque de mal ou de ne plus maîtriser l’information. Dans une situation conflictuelle aux grands enjeux décisionnels, peut-on se permettre de remettre nos décisions à une boîte noire, aussi sophistiquée soit-elle ? La réponse est clairement non. À mesure que l’IA se transforme, il conviendra de toujours préserver « le libre arbitre » qui caractérise l’action de tout responsable militaire.
L’IA est un outil qu’il convient de maîtriser afin de pouvoir l’utiliser de manière optimale. Avant toute chose, il est important d’établir des processus et des protocoles efficaces pour collecter, vérifier, nettoyer et intégrer des données informationnelles de manière sécurisée. Il est essentiel de comprendre les orientations prises par les systèmes d’IA afin de maîtriser l’information de manière efficace. Les modèles d’IA doivent être conçus de manière transparente et explicable, de sorte que les utilisateurs puissent comprendre les raisons sous-jacentes des recommandations ou des orientations proposées par l’IA.
Il faut se rendre à l’évidence, les États ont souvent tendance à dériver vers des solutions toujours trop administrées et technocratiques. L’histoire nous montre que la technologie n’a pas davantage réglé de problèmes qu’elle n’en a créés.
L’extension de la conflictualité à l’ère de l’IA se manifestera gravement dans les cyberattaques. Les États utilisent et utiliseront de plus en plus des systèmes d’IA pour mener des attaques sophistiquées contre les infrastructures adverses, allant des réseaux de communication aux systèmes de contrôles industriels. Ces attaques pourront perturber les services essentiels et nuiront fortement à la sécurité nationale.
En ce sens, la montée en puissance de la cybercriminalité et des attaques informatiques, ont poussé les armées à renforcer leurs capacités de cyberdéfense en développant des unités spécialisées dans la détection et la prévention des cyber-attaques, ainsi que dans la réponse rapide aux incidents de sécurité.
L’aide à la décision et l’accès à l’information grâce à l’IA offrent des opportunités considérables aux combattants et aux décideurs. Cependant, si les progrès de l’IA se poursuivent à un rythme accéléré, cela pourrait conduire à l’émergence d’une intelligence artificielle forte, voire d’une super-intelligence, qui dépasserait les capacités cognitives humaines. Cette évolution soulève d’ailleurs des préoccupations majeures quant à son impact à long terme sur le destin de l’humanité. Il est crucial de prendre des mesures pour anticiper et gérer les risques potentiels associés à une telle IA. En outre, des barrières conceptuelles devront être établies pour définir des principes éthiques et des lignes directrices claires sur l’utilisation de l’IA dans le contexte militaire. Ainsi, peut-on raisonnablement, à moyen terme, concevoir des missions militaires élaborées par une sorte de ChatGPT sans que l’homme ne puisse intervenir dans la boucle décisionnelle ? ♦