L’élection de Donald Trump pour un mandat au minimum disruptif va avoir des conséquences multiples en 2025, pour l’Ukraine, au Proche et Moyen-Orient, en Asie ou encore en Afrique. Les changements risquent d’être brutaux et déstabilisants notamment pour l’Europe qui doit prendre ses responsabilités. Il y va de la place du « Vieux Continent » sur la scène internationale avec le risque d’une marginalisation irréversible.
Sud de l’Europe - L’heure du réveil
Southern Europe—An Alarm Call
The election of Donald Trump for a term that is likely to be disruptive, to say the least, will have numerous consequences in 2025 for Ukraine, the Middle East, Asia and Africa. The changes could be rude and destabilising, especially for Europe, which must face up to its responsibilities. The same goes for the position of the old continent on the international stage, and the risk of irreversible marginalisation.
L’élection de Donald Trump constitue l’événement le plus marquant du dernier trimestre 2024 par les conséquences multiples qu’elle entraîne : pour l’Ukraine et la Russie dans le voisinage immédiat de l’Europe, laissant présager le lâchage des Ukrainiens pour contraindre Kiev à la négociation ; pour la Chine et en Asie, laissant entrevoir un durcissement américain face à Pékin et la Corée du Nord, rassurant le Japon et la Corée du Sud.
Au sud de l’Europe, les conséquences paraissent moins prévisibles pour plusieurs raisons. De prime abord, l’élection de Donald Trump a été saluée par les autocrates et dirigeants populistes de la région, Benjamin Netanyahou en tête. Ils se réjouissent de l’arrivée au pouvoir d’une Administration qui ne leur fera ni la morale, ni la promotion des valeurs occidentales et leur laissera libre cours pour régler comme ils le souhaitent leurs conflits intérieurs. Seuls les dirigeants iraniens, l’émir Al Thani du Qatar et le roi Abdallah II de Jordanie déplorent cette élection, car ils dépendent – chacun à leur manière – de leur relation avec Washington et ils savent qu’il leur sera plus difficile de négocier avec une Administration républicaine.
Le nouveau Président des États-Unis a annoncé son souhait d’accélérer le processus de désengagement de cette région, constant depuis Barack Obama (2009-2017). C’est tout particulièrement vrai pour l’Afrique du Nord qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration pendant la campagne électorale, mais aussi pour le théâtre Irak-Syrie très impopulaire au sein de la population américaine, en particulier dans la base électorale de Donald Trump. La chute de Bachar el-Assad et du régime syrien (8 décembre), second événement majeur du trimestre passé, pourrait toutefois l’amener à retarder le retrait militaire américain de cette zone d’opérations pour éviter que l’appel d’air ainsi créé, tout particulièrement dans les interstices libérés à la frontière irako-turco-syrienne, ne profite trop à certains acteurs régionaux. La Turquie apparaît déjà comme la principale bénéficiaire de l’offensive surprise des rebelles islamistes syriens (HTS) qui se sont emparés de Damas, menaçant à la fois les intérêts russes et iraniens au Levant. La Syrie est ainsi redevenue la variable d’ajustement des rivalités géopolitiques de nombreux acteurs présents au Moyen-Orient. L’Irak pourrait bien être le suivant.
Nul doute que Moscou et Téhéran réagiront, mais peut-être aussi Daech et Al-Qaïda qui n’ont pas dit leur dernier mot et qui n’attendent que le moment opportun pour reprendre le contrôle des territoires où ils restent solidement enracinés. Outre les Iraniens et les Russes, les grands perdants seront sans nul doute les Kurdes et les Palestiniens, mais aussi les Libanais, otages du conflit opposant Israël au Hezbollah et à l’Iran, qui voient chaque jour un peu plus leur État s’effondrer et se transformer en champ de ruines, malgré l’accord de cessez-le-feu précaire entré en vigueur entre Israël et le Hezbollah. La désignation d’un Américano-Libanais chrétien orthodoxe (Massad Boulos) comme conseiller spécial de Donald Trump pour le Moyen-Orient serait-elle un signe d’optimisme pour le Liban ?
Enfin, Donald Trump reste imprévisible – c’est indéniablement sa force – amoral et profondément transactionnel, laissant ouverte l’hypothèse de retournements de situation totalement imprévus. Même ses plus fidèles supporters tels que l’Israélien Benjamin Netanyahou, le Saoudien Mohammed Ben Salmane, l’Émirien Mohammed Ben Zayed ou l’Égyptien Abdel Fatah al-Sissi se méfient de ses foucades et de ses initiatives. Ils ont également compris qu’en déclarant urbi et orbi qu’il comptait mettre un terme aux hostilités au Moyen-Orient, Donald Trump n’entendait pas engager les États-Unis dans un conflit armé au Moyen-Orient, notamment contre l’Iran, même s’il a nommé des personnalités très hostiles à ce pays dans son gouvernement (Marco Rubio est désigné pour être le prochain secrétaire d’État). Les dirigeants israéliens auront probablement peu goûté la rencontre discrète à New York entre Elon Musk (futur co-ministre de l’efficacité gouvernementale ?) et Amir Saeid Iravani, l’ambassadeur iranien auprès des Nations unies, le 11 novembre 2024 ; pas plus d’ailleurs que la relance de la coopération militaire et des manœuvres conjointes entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Dans ce nouvel environnement propice aux « coups », Benjamin Netanyahou, otage de ses ministres d’extrême-droite fervents défenseurs d’une colonisation forcenée, pourrait profiter de la fenêtre d’opportunité pour annexer purement et simplement la Cisjordanie, réglant ainsi à sa manière le dossier palestinien et s’assurant d’une réélection confortable. Le limogeage en pleine guerre de son ministre de la Défense Yoav Gallant, fermement opposé à cette annexion, renforce cette hypothèse. Il est impossible aujourd’hui d’anticiper la réaction de Donald Trump : applaudissement ou lâchage ? Cela dépendra probablement du timing et du succès de l’entreprise.
De leur côté, les dirigeants iraniens sont divisés entre adeptes de l’ouverture autour du gouvernement et du Parlement, et tenants d’une ligne dure autour du Conseil national de sécurité et du puissant lobby pro-russe, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision la part de connivence entre les deux partis. Ce jeu est d’autant plus important qu’il se déroule dans un contexte marqué à la fois par la perte de deux alliés majeurs (le Hezbollah et la Syrie) et par la fin de règne du Guide suprême Ali Khamenei (85 ans) très malade dont chacun voit en Iran qu’il n’est plus forcément apte à diriger le pays. Les « pragmatiques » laissent entendre qu’ils sont prêts à négocier avec la nouvelle Administration Trump mais qu’en cas d’échec ou en cas de soutien américain à de nouvelles frappes israéliennes contre leur territoire, ils franchiraient rapidement le seuil nucléaire pour suivre la stratégie qui fut celle de la Corée du Nord. La perte de la Syrie ne peut que les encourager dans ce sens. Les « durs » appellent à des frappes massives de rétorsion contre Israël après les raids aériens israéliens ayant visé le territoire iranien le 26 octobre dernier, eux-mêmes lancés en riposte à l’attaque iranienne sur Israël le 1er octobre. Que ce soit à Washington ou Téhéran, les protagonistes ont tiré les leçons des erreurs commises lors du premier mandat Trump et négocieront probablement différemment.
Au Moyen-Orient, le désengagement américain promu par Donald Trump, s’il était confirmé, pourrait ainsi déboucher, dans un scénario noir, sur la destruction de la bande de Gaza, l’annexion de la Cisjordanie par Israël, l’affaiblissement de la monarchie hachémite après l’expulsion de nombreux Palestiniens en Jordanie, l’effondrement du Liban, la fragmentation d’une Syrie aux mains d’islamistes radicaux et une bombe atomique iranienne qui forcerait sans doute les Israéliens à sortir de l’ambiguïté nucléaire.
Plus généralement, l’incertitude engendrée par l’élection de Donald Trump ne peut que convaincre tous ceux qui ont choisi le multi-alignement de poursuivre cette stratégie pragmatique. C’est le sens du sommet de Kazan des BRICS+ qui a réuni en Russie, à l’invitation du maître du Kremlin, trente-cinq pays dont dix-neuf étaient représentés par leur chef d’État et plusieurs (dont la Turquie) étaient candidats à l’adhésion. Cette réunion illustre la dynamique à l’œuvre au sein des pays du Sud qui cherchent une reconnaissance internationale et prennent acte d’une alternative crédible à l’influence américano-occidentale. Même si aucune avancée politique concrète n’a été obtenue par Vladimir Poutine, cette volonté d’affichage au côté du responsable le plus agressif à l’égard de l’Occident, renforcée par la présence du Secrétaire général des Nations unies Antonio Gutterres, montre une dynamique inquiétante pour l’Europe. Le Kremlin n’a pas hésité à interférer dans les élections générales, en Moldavie, en Géorgie et en Roumanie pour éloigner ces deux États de leur volonté d’ancrage européen. Si le candidat roumain pro-russe Calin Georgescu venait à être élu président à l’issue d’un processus électoral tourmenté, le groupe de pays de l’UE favorable au Kremlin, composé aujourd’hui de la Hongrie et de la Slovaquie, s’agrandirait ; l’Europe verrait s’élargir la faille dans sa défense Sud-Est face à la Russie.
En Afrique, alors que l’instabilité s’accroît dans la bande sahélo-soudanaise comme dans la région des Grands Lacs, la position de la France s’affaiblit alors que ses compétiteurs, en particulier russes et turcs, se renforcent. La décision du gouvernement tchadien de mettre fin aux accords de sécurité et de défense avec la France, l’éviction de l’entreprise française Orano de son activité d’extraction d’uranium au Niger et l’évocation du départ des troupes françaises du Sénégal par le président Diomaye Faye illustrent la dynamique en cours qui semble générer un effet d’entraînement.
Les Européens sont donc désormais devant leurs responsabilités : vont-ils enfin se réveiller pour assumer leur sécurité ou vont-ils continuer à se bercer d’illusions faisant par là même le jeu de tous ceux qui rêvent de les écarter de l’histoire qu’ils espèrent réécrire à leur profit ? Le premier mandat de Donald Trump avait sonné l’alarme, sans réel réveil des Européens ; l’invasion de l’Ukraine par la Russie avait sonné le tocsin ; qu’en sera-t-il cette fois ? ♦