Le général Valérie André est décédée le 21 janvier 2025 à l’âge de 102 ans. Après Geneviève de Galard (1925-2024), disparaît l’une des figures les plus emblématiques de notre histoire militaire et du rôle des femmes dans nos armées.
Valérie André : pilote ou médecin ? Les deux mon général !
In Memoriam—Valérie André: Pilot and Doctor
General Valérie André died on 21 January 2025 at the age of 102. Following the death of Geneviève de Galard (1925-2024), we have lost another great iconic figure of our military history and of the role of women in the forces.
Valérie André : pilote ou médecin ? Les deux mon général !
Patricia Costa
Commissaire général de première classe (2S).
Le général Valérie André s’est éteinte le 21 janvier 2025 à l’aube de ses 103 ans. Entre la petite fille de 10 ans qui porte un bouquet de fleurs à Maryse Hilsz, pionnière de l’aviation militaire qui se pose à Strasbourg en 1932, et la légende vivante de la médecine de guerre doublée d’une pilote exceptionnelle, connue et reconnue dans le monde entier, c’est toute une vie d’héroïne qui s’est achevée par une émouvante cérémonie dans la cour d’honneur des Invalides le 27 janvier 2025.
Une vie de dépassements du possible
La passion de Valérie André pour l’aviation débute très tôt, peut-être vers l’âge de 5 ans. Aussi, à peine adolescente, la jeune strasbourgeoise s’inscrit à l’école de pilotage à l’aéroclub de sa ville natale sur un avion Potez et finance sa progression grâce aux cours de mathématiques qu’elle donne. Le « lâcher » n’aura pas lieu car la guerre oblige les Alsaciens à fuir en France libre et c’est à Clermont-Ferrand où la famille se réfugie en 1939 que notre pilote en herbe débute ses études de médecine, en même temps que ses cours de pilotage sur planeur, pour réaliser son autre rêve : devenir médecin. Cette période s’achève toutefois avec l’occupation de la Zone sud et le départ clandestin vers Paris où elle poursuivra ses études jusqu’au diplôme en 1947. La période de guerre l’a profondément marquée et son désir de servir est plus fort que tout, ce qui se traduit par un engagement déterminé en se formant au parachutisme (diplôme obtenu à Bayonne), ainsi qu’en encadrant une préparation militaire parachutisme sur le plan médical (son sujet de thèse).
Ses deux passions vont véritablement s’associer grâce au docteur Léon Binet, doyen de la Faculté de médecine de Paris, qui propose à ses élèves de partir renforcer le corps des médecins en Indochine qui manque alors de praticiens militaires. Ses parents, inquiets, ne tentent toutefois pas de la dissuader et elle part à Saigon en janvier 1948 pour un contrat temporaire de médecin militaire de 18 mois. Après avoir appris qu’elle possédait le brevet de parachutiste, ses supérieurs l’amènent à suivre le cours de chirurgien de guerre et à servir dans une zone frontalière entre le Cambodge et le Laos qui ne pouvait être atteinte que par parachutage. Assistante au service de neurochirurgie, elle participe à 150 opérations par mois.
Les conditions de récupération des blessés en zones isolées sont difficiles et les médecins parachutés opèrent dans des conditions très précaires. C’est à ce moment-là que l’hélicoptère s’impose comme le moyen par excellence de réaliser les évacuations sanitaires. Le Service de santé des armées (SSA) en est conscient et acquiert deux hélicoptères. Alors que l’Armée de l’air manque de pilotes d’hélicoptère, Valérie André s’impose et obtient de retourner en France en 1950, afin d’obtenir la licence de pilote d’hélicoptère, à l’école de vol de Pontoise, sur Hiller 360. Elle a le brevet n° 33 de l’Aéro-Club de France. Elle va alors intégrer l’équipe du capitaine Santini de l’Armée de l’air – qui deviendra plus tard son époux – et réaliser 129 vols qui permettront l’évacuation de 165 blessés, entre mars 1952 et son départ d’Indochine en 1953, dans des conditions périlleuses et sous les balles ennemies. Valérie André a souvent souligné que sa petite taille et son poids plume l’ont avantagé alors que les hélicoptères étaient sous-motorisés.
Ses exploits sous le feu de l’ennemi sont nombreux, et on peut citer en particulier son appontage, dans un quasi-brouillard, le 14 avril 1952 sur le porte-avions Arromanches qui se trouve en opération en baie d’Along et qui a demandé en urgence un hélicoptère pour évacuer des blessés, à la suite d’un accident grave survenu à bord !
De retour en France en 1953, promue médecin capitaine dans le corps de santé militaire féminin du SSA, elle est affectée au Centre d’essais en vol (CEV) de Brétigny-sur-Orge (qui dispose d’annexes à Villacoublay et à Istres), où elle assure le suivi médical des équipages. Ces cinq années lui permettent de se perfectionner sur tous types d’hélicoptères et même sur avions. Elle réalise de nombreux vols sur Bell, des évacuations sanitaires ainsi que des démonstrations qui font évoluer les équipements sanitaires à bord des aéronefs. Néanmoins, le terrain lui manque et, à sa demande, elle part en Algérie où elle sert de 1959 à 1962, en tant que commandant adjoint du service médical à la Base aérienne 142 Boufarik, puis en tant que commandant de l’hélicoptère de service de sauvetage stationné sur la BA 146 La Réghaïa, près d’Oran. Devenue pilote d’hélicoptère d’activation Aérospatiale SA-318 Alouette II, Djinn, Alouette III puis Sikorsky H-34, Vertol H-21 et Sikorsky S-58 en trois ans de service, elle effectue plus de 350 missions. En 1961, elle est nommée médecin-chef de l’ensemble de la base de Reghaïa.
À la fin de la guerre en Algérie, elle revient en France et continue sa carrière d’officier du SSA, promue lieutenant-colonel en 1965 et colonel en 1970. Elle est d’abord médecin-chef sur la BA 107 Villacoublay, puis médecin-conseiller auprès du Commandement du transport aérien militaire (Cotam). Valérie André est promue médecin général en avril 1976, ce qui fait d’elle la première femme à devenir officier général en France. L’année de sa retraite, en 1981, elle est promue médecin général inspecteur. Ses derniers postes sont ceux de directrice du Service de santé de la 4e puis de la 2e région aérienne.
Admise dans la 2e section des officiers généraux, Valérie André prend la tête de la commission d’étude prospective de la femme militaire. Elle y travaille à la promotion de l’emploi des femmes dans les forces armées. Elle quitte les champs de bataille pour un autre combat, celui de l’égalité femme-homme au sein des armées. Comme l’attestent les très nombreuses décorations et distinctions qu’elle reçoit durant toutes ces années de service mais également à l’issue, elle va poursuivre inlassablement ses visites et prises de paroles pour promouvoir les femmes à tous les métiers militaires en précisant chaque fois qu’une femme doit pouvoir atteindre de hautes responsabilités, si toutefois elle en a les compétences.
Mes rencontres avec Valérie André
Entrée à l’École de l’air et l’École du commissariat de l’air en 1980, je ne rencontre le général Valérie André que tardivement. C’est immédiatement une forte complicité qui nous unie alors que cette femme exceptionnelle me rappelle ma mère de deux ans sa cadette (celle-ci s’est également engagée comme militaire en Indochine en 1947 mais n’a pas eu le même parcours). Durant ma carrière, j’ai bien souvent entendu parler d’elle, notamment à mon arrivée au poste de commissaire de la base de Villacoublay en 1994. Son souvenir était tellement intact sur cette base aérienne où elle a beaucoup servi, que 13 ans après son départ on me compare à elle alors que je demande que mon grade (alors lieutenant-colonel) ne soit pas féminisé et que l’on ne m’appelle pas « madame » ou « miss » – un long combat depuis mon entrée à Salon. C’est dire si mon arrivée suscite les craintes des personnels qui n’ont presque jamais vu de femme officier supérieur.
Mais ce sont nos fous rires qui me reviennent en mémoire alors que nous participions toutes deux à une manifestation au cabinet du ministre et que notre général me demanda de l’aider à mettre son grand cordon de l’Ordre national du Mérite, ce pour quoi je n’avais aucune pratique ! Dès cette époque, elle manifestait son admiration pour ces jeunes femmes qui suivaient (de loin) sa trace en devenant militaires et en ayant (tardivement) accès à toutes les spécialités. Elle nous trouvait très élégantes dans nos uniformes ! Un peu plus tard alors qu’elle était déjà âgée, je l’ai souvent retrouvée aux cérémonies sur la base de Villacoublay, chère à son cœur. À plus de 90 ans, elle restait debout durant toute la cérémonie mais acceptait mon bras (j’étais alors général) pour se déplacer. C’est un souvenir inaltérable pour moi car je ressentais une immense fierté d’être associée à cette femme exceptionnelle auprès de qui je me sentais si humble.
L’exception mieux acceptée que la règle ?
Pour conclure ce trop bref article sur une vie d’exception, on ne peut que s’interroger sur le fait qu’elle ait été rendue possible en dépit des interdictions faites aux femmes à l’époque de Valérie André d’accéder aux métiers des armes. Quelques dates de l’ouverture (puis de fermeture) des métiers militaires aux femmes peuvent nous éclairer sur cette longue marche vers l’accessibilité :
• Service de santé des armées : En 1914, les premières femmes infirmières de la Croix-Rouge sont affectées à des formations sanitaires militaires au Service de santé qui crée, en 1916, le corps des infirmières temporaires. Ce n’est toutefois qu’en 1952 qu’est créé le corps de santé militaire féminin et des officiers féminins sont recrutés à l’École du service de santé militaire de 1952 à 1956. Ce recrutement s’arrête ensuite. Les officiers féminins sont intégrés dans le corps interarmées des médecins et pharmaciens des armées en 1968. En 2025, le SSA est féminisé à 57 %.
• Armée de l’air : Mai 1940, l’Armée de l’air crée le corps féminin de pilotes auxiliaires. Après la défaite, il sera dissous. Septembre 1944 : le corps féminin de pilotes de l’Armée de l’air est recréé avec des aviatrices confirmées comme Maryse Bastié et Maryse Hilsz. Ce corps sera à nouveau dissous en 1946. Bien que l’École de l’air soit accessible dès 1976, il faudra attendre 1996 pour qu’elle soit ouverte aux femmes pour les spécialités de pilote incluant la chasse (Caroline Aigle accès par Polytechnique et Virginie Guyot accès direct). En 2025, l’Armée de l’air et de l’Espace est féminisée à 23,4 %, presque plus que l’Armée de terre et la Marine réunies !
• Armée de terre : 1983, accès possible aux femmes à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Les femmes peuvent devenir pilote d’hélicoptère suite à la décision de Charles Hernu alors ministre de la Défense. En 2025, l’Armée de terre est féminisée à 11,4 %.
• Marine nationale : 1992, accès des femmes à l’École navale, elles peuvent être pilotes d’hélicoptère. Les sous-marins s’ouvrent officiellement à l’accueil des femmes en 2014 mais l’expérimentation ne se fera qu’en 2018. En 2025, la Marine nationale est féminisée à 16 %.
• Gendarmerie nationale : Ouverte à partir de 1983, l’accès aux femmes s’est fait progressivement et de manière plus prononcée pour les tâches administratives. Toutes les spécialités sont ouvertes depuis 1998. En 2025, la Gendarmerie est féminisée à 21,6 %.
• Toutes armées : Ce n’est qu’en 1998 que les quotas « négatifs » sont supprimés pour l’accès des femmes aux métiers militaires. Ils étaient de 10 % en 1980, puis de 20 % jusqu’en 1998.
27 janvier 2025Décorations et distinctions du général Valérie André
Décorations françaises
Grand-croix de la Légion d’honneur en 1999 (grand officier en 1981, chevalier en 1953).
Grand-croix de l’ordre national du Mérite en 1987.
Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs, palme de bronze (5 citations dont 4 palmes).
Croix de la Valeur militaire (2 citations).
Médaille de l’Aéronautique.
Médaille d’honneur du service de santé des armées, échelon vermeil.
Médaille commémorative de la campagne d’Indochine.
Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre.
Décorations étrangères
Croix de la vaillance (Canada).
Commandeur en chef de la Legion of Merit (États-Unis).
Médaille de la Liberté avec palme d’or (États-Unis), le 29 juillet 1954.
Chevalier de l’ordre national du Vietnam *.
Croix de la vaillance (3 palmes, 2 étoiles de vermeil, 2 étoiles en argent et 1 étoile en bronze) *.
* Ces deux décorations sont décernées par la République du Viêt Nam ou Vietnam du Sud.
Brevets
• Brevet de parachutiste militaire comme instructeur.
• Brevet de pilote militaire comme instructeur d’avion, d’hydravion, de ballon dirigeable, de vol à voile, de planeur et d’hélicoptère.
• Brevet de pilote d’hélicoptère no 001 (2010) avec effet rétroactif à la date du 16 novembre 1956.
Publications
• La pathologie du parachutiste (thèse de doctorat de médecine), Imprimerie de R. Foulon, 1948, 84 pages.
• Ici ventilateur ! Extraits d’un carnet de vol (souvenirs), Calmann-Lévy, 1954, 229 pages.
• Madame le général (souvenirs), Préface de Jean Lartéguy, Perrin, 1988, 248 pages.
Filmographie
Madame le Général, une femme d’exception (2021), film documentaire sur la vie de Valérie André, la première femme général des armées en France, écrit et réalisé par Jean-Pierre C. Brouat, produit par Ladybirds Film.