Des États-Unis à la Chine, de la Russie à l’Union européenne, chacun s’interroge sur l’approvisionnement énergétique, la sécurisation et la diversification des ressources, « comme il y a cinquante ans, on s’interrogeait sur la sécurité d’approvisionnement agricole » (Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne). Parole d'expert. Pour ce qui concerne la France en particulier, sa politique énergétique est structurellement liée au nucléaire qui produit les trois quarts de son électricité. De surcroît, tout laisse à penser — de la protection de l’environnement à la voracité énergétique des pays émergents — que le nucléaire participera des énergies de l’avenir à la double condition de contribuer à l’intérêt général et de veiller à ce qu’il s'insère dans une stratégie globale. Dans ce contexte géopolitique ambitieux, la gestion des déchets nucléaires ne saurait être négligée.
Nucléaire : entre intérêt général et sécurité globale
Nuclear policy: between the general interest and global security
From the United States to China, Russia and the European Union, everyone is pondering over the question of energy supplies, the securing and diversification of resources ‘just as we did fifty years ago over the security of agricultural resources’ (Jacques Barrot, vice-president of the European Commission). An expert opinion. As far as France, in particular is concerned, its energy policy is structurally linked to nuclear power, which provides three-quarters of its electricity. Moreover, everything, from environmental protection to the thirst of the emerging economies for energy, suggests that nuclear energy will continue to contribute to future energy supply, subject to the double condition of contributing to the general interest, and of ensuring that it forms part of a global strategy. In this ambitious geopolitical context, the management of nuclear waste cannot be disregarded.
À la veille du vote d’une loi au Parlement organisant la gestion des déchets nucléaires, la France politique doit faire connaître avec clarté ses choix énergétiques. Elle le doit au nom de l’intérêt général, de la crédibilité de son industrie énergétique et en vue de maîtriser les enjeux géostratégiques suscités par la tension sur le pétrole, les investissements sur les énergies renouvelables et les grandes manœuvres sur le nucléaire (civil et militaire). Cette injonction à agir sans retard concerne l’Europe dans son ensemble, Paris se retrouvant pour une fois à l’unisson de Washington pour relancer l’industrie nucléaire dans une perspective commerciale dynamique (en témoignent les accords envisagés avec l’Inde). La dimension environnementale de toute énergie est venue nous faire prendre conscience que toute consommation, et en amont toute production, s’accompagne de pollution, c’est-à-dire dans la pratique de déchets. Comme la mort vient ponctuer la vie, pour le moins chez les espèces humaines et végétales, les déchets se retrouvent à la fin de tous les cycles industriels de production.
Ce constat doit être appréhendé sans a priori et pour ce qu’il reflète d’évolution naturelle des espèces. Une certaine duplicité politique, sous influence des minorités agissantes, proposerait de dissocier arbitrairement ce qui dans le cycle de production du combustible nucléaire relève de l’énergie proprement dite et reléguerait les déchets aux bons soins d’intérêts locaux. De cette attitude schizophrénique à cliver un processus industriel, dont la cohérence est liée à sa logique d’ensemble, l’intérêt général ainsi fragmenté perd de son autorité sociale, laissant à une hypothétique opinion publique la disposition d’arbitrage en matière de protection de l’environnement et de bien-être des populations. Qui ne voit, à côté de cette défausse politique, la recherche d’un idéal de pureté qui va « conditionner » les opinions publiques jusqu’à faire du nucléaire, et plus spécialement des déchets nucléaires, le fonds de commerce idéologique de professionnels de la contestation et de tous ceux qui font du débat publico-compassionnel un modèle de démocratie participative. À la vérité, il n’est question que de démocratie « illibérale » quand la protestation prend le pas sur le politique…
Dans le cas précis des déchets nucléaires, qu’il s’agisse de stockage, d’entreposage ou de séparation-transmutation, les solutions, comme les risques, sont à peu près connus et quantifiés. Il reste au pouvoir politique à décider démocratiquement et souverainement, et à privilégier l’intérêt général plutôt qu’à sustenter la mappemonde des égoïsmes particuliers et toujours insatisfaits.
Des déchets nucléaires en particulier aux déchets industriels en général, l’Allemagne répugne à en faire le traitement à domicile ; l’Italie a renoncé à la production d’énergie électronucléaire en 1987 et fait traiter ses déchets en Grande-Bretagne ; les trois quarts de l’électricité en France sont d’origine nucléaire et l’usine de La Hague traite nos déchets et une partie de ceux de nos voisins européens… La Russie propose d’élargir la capacité de traitement des déchets nucléaires de son dépôt multinational de Krasnoyarsk, mais les pays de l’Union européenne sont réticents à une « solution russe » après les ruptures d’approvisionnement énergétique de cet hiver et la crise gazière russo-ukrainienne. Ces situations singulières et trop centrées sur le pré carré national ne préparent pas une politique énergétique commune aux pays de l’UE.
Alors que les opinions publiques européennes commencent à évoluer dans leurs appréciations sur la viabilité de la filière nucléaire, voire à changer de bord comme en Suède et en Italie, l’UE n’a pas encore pris la mesure de cette évolution, comme si la politique énergétique commune n’en dépendait pas. Cette prudence politique apparaît bien anachronique dans un climat plus ou moins généralisé de retour et d’amplification du nucléaire, qu’il s’agisse des nouvelles intentions américaines, du volontarisme des pays émergents à augmenter leur production électronucléaire et des besoins énergétiques mondiaux qui ne cessent de croître. Le nucléaire, de l’énergie produite aux déchets induits, présente l’avantage de prendre en considération l’intérêt général dans une perspective de sécurité globale. ♦