Où il est question de la place des pénétrateurs nucléaires anti-bunkers dans la posture nucléaire américaine et le débat sur le désarmement aux États-Unis.
Posture nucléaire américaine et défi des bunkers
The US nuclear posture and the challenge of the bunkers
This article questions the position of nuclear bunker-penetration weapons in the United States’s nuclear posture and its debate on disarmament.
Le gouvernement américain a fait connaître au début du mois d’avril sa révision de la posture nucléaire (NPR – Nuclear Posture Review), publication coordonnée avec la signature du nouvel accord États-Unis/Russie de réduction des armements nucléaires, dit « Start ». L’Administration Obama s’est efforcée, dans la définition de cette réforme NPR comme dans la négociation de l’accord bilatéral, de faire coïncider la rhétorique de désarmement nucléaire mondial du Président avec les contraintes que constituent la pérennité de la dissuasion américaine, l’évolution des menaces stratégiques, les impératifs diplomatiques et une situation parlementaire complexe.
La réduction des armements nucléaires stratégiques, au cœur du récent accord Start signé par le gouvernement Obama avec la Russie, fait l’objet d’un intense débat aux États-Unis depuis la fin de la guerre froide. Plusieurs groupes de parlementaires démocrates, notamment ceux conduits par les représentants Pete Stark et Edward J. Markey, ont fait savoir à Barack Obama leur volonté de voir la totalité de l’arsenal nucléaire américain passer sous la barre symbolique des 1 000 charges nucléaires. La demande drastique de ces démocrates n’aura pas été suivie par les diplomates russes et américains, les deux nations conservant chacune 1 550 charges nucléaires opérationnellement déployées aux termes du traité.
Le camp des parlementaires républicains se révèle pour sa part beaucoup moins favorable au désarmement nucléaire. En décembre 2009, un groupe de sénateurs républicains a adressé une lettre au président Obama, affirmant l’importance qu’ils accordent à la dissuasion nucléaire et réclamant la modernisation de plusieurs armes, ainsi que le développement d’une nouvelle tête nucléaire, dans la droite ligne du programme RRW (Reliable Replacement Warhead) de l’Administration Bush. Au nombre de 41 et représentant une minorité de blocage lors de la ratification au Sénat d’un accord bilatéral, ces sénateurs indiquaient qu’ils souhaitaient une modernisation de l’arsenal nucléaire américain avant toute négociation avec la Russie. Il est à noter que la NPR rendue par l’Administration Obama recommande la poursuite du programme de modernisation des charges W-76 et B-61, comme requis par les parlementaires républicains.
Les armes nucléaires non-stratégiques, parfois qualifiées de « préstratégiques » ou « tactiques », ne sont pas concernées par l’accord bilatéral Start. Ces armes de théâtre conçues au cours de la guerre froide, ont été en grande partie démantelées suite aux accords FNI (Forces nucléaires intermédiaires) de 1987. La NPR a annoncé le retrait des missiles de croisière Tomahawk à charge nucléaire (TLAM-N) et stipule que toute nouvelle négociation avec la Russie devra inclure la question des armes nucléaires non-stratégiques. Le gouvernement Obama semble donc déterminé à lancer un débat sur le désarmement des armes nucléaires non-stratégiques. Néanmoins, les forces américaines maintiennent plusieurs centaines de charges W80 et B-61 sur leurs bases en Europe, les réservant à des usages particuliers, en particulier les charges nucléaires anti-bunkers.
Ces charges nucléaires, conçues spécifiquement pour la pénétration des fortifications et la destruction des cibles enfouies en profondeur, ont vu le jour dès les années 50, avec la création de la bombe Mark 11. Ces armes dédiées furent dès lors développées selon deux approches, la première privilégiant l’emploi d’armes nucléaires non-spécifiques déclenchées à la surface du sol et dont la puissance suffirait à détruire une cible enterrée ; la seconde approche consistant à développer des armes nucléaires dotées d’une tête renforcée pénétrant le sol ou un bétonnage avant d’exploser au plus proche de la cible. Ces deux approches coexistèrent pendant plus d’un demi-siècle, tout au long du développement de ces armes, donnant naissance à des dizaines de prototypes, de la bombe Mark 11 à la charge W-61. À la fin des années 90, la bombe nucléaire non-stratégique B-61 fut modifiée afin d’augmenter sa capacité de pénétration anti-bunker. Ce programme donna naissance à la B-61 Mod 11, qui demeure, depuis 1997, la seule arme nucléaire anti-bunker dans l’arsenal américain et dont plusieurs exemplaires seraient déployés par les forces américaines en Europe.
Le développement de ces armes fut relancé suite aux bombardements américains menés sur les cavernes de Tora Bora en 2001, dont les effets se révélèrent particulièrement décevants aux yeux du Pentagone et donnèrent naissance au programme d’arme nucléaire anti-bunker RNEP (Robust Nuclear Earth Penetrator). Ce projet, qui débuta en avril 2002, visait à déterminer si une charge nucléaire disponible dans l’arsenal américain pouvait être intégrée à une enveloppe renforcée, afin de dépasser les capacités de la bombe B-61 Mod 11, puis plus tard à concevoir une charge nucléaire pénétrante d’une puissance inférieure à 5 kilotonnes. Dès son lancement, le programme fut l’objet d’une opposition farouche de la part du camp démocrate, qui obtint finalement l’annulation de ses financements en 2005 et 2006. Depuis, le programme RNEP est considéré comme gelé, bien que le concept de cette arme demeure pertinent pour certains, face à la menace que représentent les bunkers de nations telles que l’Iran ou la Corée du Nord.
Les armes nucléaires ne constituent pas les seules options à la disposition des forces américaines afin d’atteindre des cibles enterrées en profondeur. L’US Air Force possède de longue date des bombes anti-bunkers dotées d’explosifs conventionnels, tels que la BLU-116, la bombe pénétrante BLU-109 ou encore la charge guidée GBU-39. Néanmoins, la capacité de pénétration de ces bombes se serait révélée décevante sur plusieurs théâtres, notamment contre des bunkers renforcés ou des roches très dures. Ces retours d’expérience ont incité les États-Unis à se doter de nouvelles capacités non-nucléaires en matière d’armes anti-bunkers. Le programme phare de cette initiative est incarné par le MOP (Massive Ordnance Penetrator) ou GBU-57, une charge pénétrante de 13 tonnes, destinée à être emportée par un bombardier B-2 et qui promet la pénétration de 60 mètres de béton renforcé, 40 mètres de roches de densité moyenne et jusqu’à 8 mètres de béton hautement renforcé. Cette nouvelle arme anti-bunker fait l’objet d’un développement accéléré, mais ne devrait pas être opérationnelle avant la fin de l’année 2010. D’autres approches sont également étudiées contre les bunkers, notamment par la mise au point d’une bombe bondissante (skip-bomb), la BLU-121/B qui combine un corps d’ogive très résistant fait d’un alliage spécial (ES-1c) et une charge thermobarique de nouvelle génération (AFX-757). Le rôle de cette arme est de détruire les portes blindées d’un bunker grâce à un angle d’attaque frontal obtenu par rebond, avant d’expulser un mélange hautement inflammable à haute pression produisant une onde de souffle qui se propage particulièrement bien dans les milieux confinés et les souterrains.
Ce type d’attaque privilégiant la précision des effets nécessite un important travail de reconnaissance en amont, rendu plus difficile par l’accès des nations émergentes à de nouveaux savoir-faire dans les domaines du génie et du camouflage. Afin de détecter des installations toujours plus modernes et enfouies à de grandes profondeurs, des systèmes militaires sont développés par le DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) et sont dérivés des appareils utilisés par les géologues dans l’étude des sols et des minéraux. L’US Navy dispose déjà de plateformes équipées d’outils similaires au sein d’une unité de recherche scientifique, le VXS-1 (Scientific Development Squadron 1) qui met en œuvre plusieurs appareils P-3 Orion modifiés, embarquant des équipements de pointe, tels que des gravimètres, des magnétomètres, des capteurs d’imagerie hyperspectrale et des radars d’imagerie polarimétrique à synthèse d’ouverture (SAR).
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Dans le cadre de sa Nuclear Posture Review, le gouvernement Obama a fourni des garanties au camp démocrate en affirmant sa volonté de désarmement, mais également au camp républicain en maintenant l’importance stratégique de la dissuasion et en assurant la modernisation d’une partie de l’arsenal. Ce document semble également indiquer que Barack Obama pourrait faire des armes nucléaires tactiques la prochaine étape de son projet de désarmement. À cet égard, les armes nucléaires anti-bunker, devenues des armes impopulaires et concurrencées par des alternatives conventionnelles crédibles, pourraient faire l’objet des premiers retraits.