70 ans des combats de la RC4
30 septembre : la lente et difficile gestation de la décision d’évacuation de Cao Bang
30 septembre : la lente et difficile gestation de la décision d’évacuation de Cao Bang
Carte de la RC4 (ONAC : www.caobang.fr/)
En juin 1949, clôturant une tournée d’inspection en Indochine, le général Revers, chef d’état-major de l’armée, préconise au Tonkin le repli du dispositif sur le Delta utile, c’est-à-dire l’abandon pur et simple de la Haute-Région et de la partie septentrionale de la Route coloniale n° 4 (RC4), au-delà de That Khé, notamment Cao Bang. Mais, compte tenu de l’opposition absolue du général Alessandri, commandant au Tonkin, rien de sérieux n’est envisagé avant la fin de l’été 1950, soit un an plus tard. Entre-temps, Dong Khé est tombé, mais a été repris grâce au succès d’une des premières opérations aéroportées.
Dès le 2 septembre 1950, le commandant en chef – le général Carpentier – prescrit au général commandant la Zone opérationnelle du Tonkin (ZOT) – Alessandri – l’abandon total de la Haute-Région tout en compensant ce repli par l’occupation en force de Thaï Nguyen. Au terme d’un an de tergiversations, et de faux-fuyants, cela consiste en fait à revenir à la conception Revers, alors élaborée et conçue dans un tout autre climat général, à une époque où une action en force du corps de bataille vietminh n’était pas encore envisageable. Il s’agit de jumeler la double évacuation de Cao Bang et de Dong Khé avec l’occupation définitive de Thaï Nguyen. Ainsi, l’impact psychologique de l’abandon de Cao Bang sera atténué. Quant au repli proprement dit, il est décidé qu’il s’effectuera par voie terrestre et à pied. Le parcours de la RC4 est préféré à celui de la RC3 par Bac Khan vers Thaï Nguyen, même si la RC4 s’apparente à un véritable coupe-gorge où toute manœuvre coordonnée est impossible compte tenu du nivellement et de la végétation. Il est préféré car plus court et pouvant s’appuyer sur toute une série de postes entre Cao Bang et Lang Son (1).
Or, le jour même de la diffusion de cet ordre, Dong Khé est attaqué par deux régiments vietminh et succombe deux jours plus tard. La RC4 est irrémédiablement coupée entre Cao Bang et That Khé. La conception initiale du commandant en chef est caduque. Mais, fait inouï, alors que la preuve est faite que le gros du corps de bataille vietminh est à portée immédiate de la RC4 et y prononce son effort, cette conception n’est pas modifiée ! Le commandant en chef, en tournée à Hanoï, Lang Son et Cao Bang, va seulement rajouter un préalable à sa manœuvre : reprendre temporairement Dong Khé.
Les préalables à l’évacuation de Cao Bang
Le 16 septembre, alors que le poste de Dong Khé résiste encore, un groupement opérationnel de quatre bataillons – 1er, 3e et 11e Tabors et Bataillon de marche du 8e Régiment de tirailleurs marocains (BM/8e RTM) – est mis sur pied à Lang Son, sous les ordres du lieutenant-colonel Lepage. Le soir même, il commence son mouvement vers That Khé sur lequel est largué le 1er Bataillon étranger parachutiste (BEP).
Le 18, tandis que Dong Khé est déjà tombé, le général Carpentier précise sa conception au colonel Constans, commandant la Zone frontière nord-est (ZFNE) à Lang Son, désigné pour commander l’opération : les deux actions de Thaï Nguyen et Cao Bang demeureront liées et seront déclenchées avec trois jours de décalage. Concernant Cao Bang, la colonne Lepage, depuis That Khé, se portera au-devant de la garnison de Cao Bang, renforcée préalablement du 3e Tabor, le BEP, largué sur That Khé, venant renforcer le groupement Lepage. Le commandant en chef insiste sur deux impératifs à respecter scrupuleusement : le secret dans la conception et la rapidité dans l’exécution (2). Ce souci du secret amène le commandant en chef, lorsqu’il se rendit à Cao Bang, à ne rien dévoiler au colonel Charton (3). De même, alors que son groupement cherche le contact autour de That Khé, le lieutenant-colonel Lepage est laissé dans l’ignorance de la portée réelle de son action.
Le 19, après avoir ouvert la route à hauteur de Na Cham, Lepage fait sa jonction avec le 1er BEP à That-Khé. Ce n’est que le 30 septembre, après toute une série d’opérations secondaires autour de That-Khé qui lui ont confirmé la présence de fortes concentrations d’unités vietminh, que Lepage reçoit ses ordres, au moins une partie : il doit reprendre Dong-Khé avant le 2 octobre midi. Il obtempère, non sans avoir émis de sérieuses réserves quant au succès de cette opération : le Vietminh contrôle la région, la RC4 est coupée au Sud de That-Khé et enfin, son Groupement ne dispose d’aucun appui sérieux dans le domaine des feux.
[1] Dong Khé est situé à 45 km de Cao Bang et tenu par deux compagnies de Légion, puis That Khé à 25 km.
[2] Général Salan, Mémoires Tome II, Le Vietminh, mon adversaire, Presses de la Cité, 1971, p. 167. Les instructions de Carpentier à Alessandri sont très précises : « L’opération sera tenue secrète. Le lieutenant-colonel Charton, commandant à Cao Bang, ne devra être prévenu que le 1er octobre. Il devra partir le 2 octobre en début de nuit et marcher vite. Dans ce but, il constituera une colonne allégée et sans véhicule ». En fait, le général Alessandri, la rage au cœur, prendra sur lui de prévenir Charton lors d’une liaison à Cao Bang dans les derniers jours de septembre.
[3] Non seulement, Carpentier ne dévoila pas ses intentions de repli à Charton, mais au contraire, il l’exhorta à poursuivre sa résistance. Il l’informa dans ce sens du renforcement de la garnison par le 3ème Tabor et de l’évacuation par les mêmes avions des vieillards, des femmes et des enfants de la population civile de la bourgade.
Le fait que Charton n’ait jamais été orienté sur ce qui était attendu de lui se révéla catastrophique : la clé du succès de cette opération périlleuse résidait dans la vitesse qui était attendue de Charton pour se faire recueillir par Lepage, d’autant plus que les derniers renseignements ne donnaient pas le corps de bataille viet à proximité immédiate de l’axe de repli. Ce faisant, Charton se repliera très processionnellement en opérant une ouverture de route classique par dépassements successifs, tous les points hauts dominant la, route étant préalablement tenus, alors qu’en fait, le seul salut qu’il avait était de « foncer » sur la route, mais le pouvait-il, alourdi qu’il était par un convoi de civils ?
De même, Lepage n’a jamais été mis au courant de la portée réelle de sa mission. Pour lui, il ne s’agissait que de reprendre le contrôle du poste de Dong Khé. Ce n’est qu’en conduite, alors qu’il avait déjà échoué dans la reprise du poste tenu par le Vietminh, qu’il apprit qu’il devait en fait y recueillir la colonne Charton.
Publié le 30 septembre 2020
Claude Franc