C’est en Norvège, entre le 9 avril et le 10 juin 1040, que s’est déroulé le premier affrontement de la guerre entre l’Allemagne et une coalition de forces norvégiennes, britanniques, françaises et polonaises. Alors que les préparatifs de la bataille de France battaient leur plein, l’attention des états-majors se concentra sur un pays ignoré en temps de paix et fort peu connu en temps de guerre : le royaume de Norvège.
Le pays avait une importance stratégique inestimable que l’on vit durant la période de la guerre froide. Sa côte Sud contrôle l’entrée dans la Baltique, sa côte Nord ouvrait accès à la Finlande par terre et par mer, alors que la France et la Grande-Bretagne cherchaient à intervenir dans la guerre russo-finlandaise. Sa côte, longue de 3 400 km, commande l’accès à l’Atlantique nord alors que la flotte allemande va essayer de sortir de ses bases ; enfin, tout le long de cette côte, un important courant de navigation achemine vers la Grande-Bretagne et vers l’Allemagne le bois et le minerai de fer indispensables à l’effort de guerre, alors que chacun des adversaires s’apprête à interrompre les approvisionnements de l’autre.
François Kersaudy restitua avec brio ce bref chapitre du Second conflit mondial. Du côté allié, on eût affaire à des dirigeants incompétents dans le domaine militaire et qui le savent, comme Chamberlain et Reynaud. Ils tiennent compte des conseils contradictoires et le plus souvent extravagants de leurs conseillers politiques et militaires, ainsi que des réactions confuses et passionnées de leur opinion publique. Du côté français, les intrigues privées et les querelles publiques peuvent paralyser la stratégie ; chez son alliée, les membres du Cabinet de guerre tiennent des conseils de temps de guerre et se dispersent pour le week-end ! De l’autre, l’Allemagne, où les querelles des généraux et des ministres s’effacent devant les décisions du Führer, où l’on travaille la nuit, où les week-ends ont disparu. D’un côté Chamberlain qui « ne veut pas prendre de risques sans être sûr du résultat », de l’autre Hitler qui s’apprête à risquer en un seul coup de dés l’ensemble de sa flotte pour réussir ce qu’il appelle « l’entreprise la plus culottée de l’histoire militaire moderne ».
C’est tout cela, et bien davantage, qui amène deux forces ennemies devant les côtes de Norvège au matin du 9 avril 1940. La campagne de Norvège qu’il conte avec force de détails et de manière haletante, va montrer aux Alliés que l’improvisation mène à la catastrophe et aux Allemands que certaines victoires militaires sont des désastres politiques. Quel fut en effet le bilan de cette campagne de deux mois, et quelle influence a-t-elle exercée sur le déroulement de la Seconde Guerre mondiale ? L’habituelle comptabilité des pertes humaines fait apparaître une sensible égalité entre les deux camps. Il en fut de même pour le matériel. Mais en valeur relative, les pertes navales (les Britanniques ont perdu 3 croiseurs, 7 destroyers, un porte-avions et 4 sous-marins ; les Allemands 3 croiseurs, 10 destroyers, 6 sous-marins), la disproportion est considérable. Insignifiantes pour la Royal Navy, ces pertes sont au contraire écrasantes pour la Kriegsmarine, qui perdra jusqu’à la fin de la guerre l’essentiel de sa capacité opératoire. L’Allemagne acquiert des bases navales et aériennes à l’est et au nord des îles britanniques, ainsi que dans la région du cap Nord. Ceci lui permettra d’attaquer les lignes de communication maritimes de l’ennemi et lui facilitera grandement l’accès à la haute mer. Mais cette médaille a eu son revers, la Kriegsmarine n’eut plus guère de flotte pour profiter de cette occasion unique. Par ailleurs, à, la suite de la victoire allemande en Norvège, la route du fer sera effectivement coupée mais pour les Alliés seulement. L’Allemagne obtiendra de cette source 600 000 tonnes de minerai en 1941 et 1,8 million de tonnes en 1943. Il est vrai que dès l’été 1940, elle pouvait également disposer du minerai de fer lorrain et luxembourgeois. L’absence de flotte allemande a permis à la Grande-Bretagne de monter une opération navale d’envergure lors de l’évacuation alliée de Dunkerque. Mais Hitler aurait-il pris un tel risque sur mer ? On peut aussi estimer que les leçons de la campagne de Norvège auront été précieuses pour les Alliés car elles leur auraient permis d’améliorer substantiellement la planification et l’exécution d’opérations combinée ultérieures. François Kersaudy en doute au vu des opérations ultérieures à Dakar (23-25 septembre 1940), en Crète (29-31 mai 1941) ou à Dieppe (19 août 1942).
Tout bien considéré, pour le grand expert qu’il est (il est l’auteur de six ouvrages sur l’homme d’État britannique dont le dernier est paru en 2011 chez le même éditeur, Le monde selon Churchill), le seul avantage substantiel qu’il considère même décisif que la Grande-Bretagne ait tiré de cette campagne, ce fut le remplacement de Neville Chamberlain par Winston Churchill. Rien d’autre que les revers en Norvège n’aurait pu provoquer le départ du premier avant le 10 mai et il est exclu que les parlementaires britanniques aient accepté d’ouvrir une crise politique une fois la bataille de France engagée. Or, il est infiniment probable que les événements auraient pris une tournure très différente si Neville Chamberlain était resté Premier ministre de Grande-Bretagne à l’été 1940…