L’ouvrage collectif consacré aux débats sur l’éthique politique au Royaume-Uni étudie la notion de Sleaze, terme inconnu avant les années 1960 hors des milieux interlopes de Soho, et utilisé depuis les années 1990 pour qualifier les pratiques du monde politique.
Le concept renvoie à la façon dont les hommes politiques usent de leur pouvoir pour satisfaire aussi bien leur besoin d’argent, la garantie de leur réélection que leurs appétits sexuels, le tout entouré d’un silence complice de leurs confrères. La révélation par la presse de nombreux agissements relatifs à l’un ou l’autre des différents aspects du Sleaze explique en partie la défiance des électeurs, l’abstention et certaines formes de populisme.
Est-ce un phénomène totalement nouveau ou est-ce au contraire la puissance des médias britanniques qui expliquerait l’actualité du sujet ? Mais la réputation d’intégrité de la vie politique britannique y survécut, sorte de mirage d’un âge d’or qui n’a jamais existé et survit encore en partie dans le classement honorable de la Grande-Bretagne dans la hiérarchie de Transparency International. L’accélération des affaires dans les années 1990 (gouvernements de John Major puis de Tony Blair) a largement popularisé le concept de Sleaze et le désenchantement des électeurs à l’égard de leurs élus.
Le livre s’attarde aussi sur les différentes commissions et groupes de réflexion instaurés pour contrôler et réglementer la vie politique surtout parlementaire, après l’affaire des fausses notes de frais des élus de Westminster. La tradition d’autocontrôle du Parlement britannique avait largement failli en l’espèce. Mais les mécanismes mis en place n’ont pas, semble-t-il, porté remède et auraient même eu un effet pervers, imposant des conditions et des déclarations qui entravent le travail des élus sans pour autant rétablir la confiance de l’opinion. Pour lutter contre la corruption, le Freedom of Information Act (2000) garantit l’accès aux documents administratifs. Il a permis la révélation de deux affaires importantes dont celle des contrats d’armements Yamamah avec l’Arabie saoudite. Londres avait toujours observé à l’égard de la Convention contre la corruption des agents publics étrangers signée dans le cadre de l’OCDE en 1997, un certain cynisme. Mais la révélation des dépenses au bénéfice de la famille royale saoudienne s’est heurtée aux limites des pouvoirs d’investigation des organismes de contrôle et même de la justice devant l’intérêt « supérieur » de la nation et la puissance du groupe BAE.
La Presse a fait l’essentiel du travail d’investigation, faisant de la révélation de Sleaze des scoops réguliers. Les dérives du groupe Murdoch ont finalement abouti par effet boomerang à l’affaire des écoutes téléphoniques de News of the World démontrant les étranges connivences entre police et journalistes, entre hommes politiques et médias. L’instruction est toujours en cours mais aboutira-t-elle confrontée encore une fois à un magnat des médias ? En réaction, le système des Spin Doctors a été chargé d’orienter la Presse en amont jusqu’au mensonge sur les armes de destruction massives irakiennes. Le plus célèbre de ces étranges médecins de la communication politique, Alistair Campbell, y perdra sa place mais pas Tony Blair.
L’ouvrage présente une grande actualité pour le lecteur français. La découverte de la fille adultérine de François Mitterrand fut traitée comme une affaire sans importance alors que l’emploi de l’argent public pour entretenir une double famille aurait à tout le moins pût faire l’objet de débats publics. L’affaire DSK dans tous ses aspects a brutalement déchiré le voile et le livre de Marcela Yacub a démontré que la Presse française risquait les mêmes dérives que celle d’outre-Manche.