Le 8 novembre 2012, j’ai déjà consacré une recension au premier livre de Régis Le Sommier concernant le général David Petraeus (1). Je la terminais comme suit : « On regrettera seulement que la vie privée du général soit si peu abordée : une femme et deux enfants cela compte aussi dans la vie d’un militaire. De surcroît, un homme d’un tel tempérament doit bien avoir quelques romans dans sa giberne ! ».
Je ne croyais pas si bien dire ; deux jours après, j’apprenais que Petraeus démissionnait de son poste de directeur de la CIA par suite d’une banale liaison avec sa biographe Paula Broadwell, révélée par leurs messages sur Internet !
Régis, dans son nouvel ouvrage, ne fait qu’ajouter un épilogue au précédent. Mais en quelques pages (16), il dresse avec un art consommé la description de l’affaire et de ses protagonistes : Paula Broadwell, jeune femme de trente-neuf ans, diplômée de West Point, ancien officier de renseignement, amante de David Petraeus, jalouse de Jill Kelley, trente-sept ans, reine des mondanités de la ville de Tampa et amie de Holly, épouse du général ; enfin Frédéric Humphries, agent célèbre du FBI(2), qui intervient à la demande de Jill, parce qu’il est amoureux d’elle, afin de découvrir l’origine des courriels étranges qu’elle reçoit…
De la démonstration de Le Sommier, il ressort que les cyber-enquêteurs(3) alertés par Fred furent vite persuadés que ce qu’ils « avaient pris pour une menace sur la sécurité nationale se révélait être une affaire à mi-chemin entre SAS de Gérard de Villiers et la série Desperate Housewives »(4). Les rebondissements en sont ridicules comme, par exemple, lorsque les fins limiers découvrent dans les messages de Fred à Jill une photo de leur collègue « torse nu » : ils s’en inquiètent au point d’entamer une enquête interne. La liaison entre le général et son biographe, entamée en novembre 2011 et terminée en juillet 2012, n’était de toute façon « qu’une histoire entre adultes consentants »(5). De plus, si l’armée américaine réprime l’adultère, rien dans le statut de la CIA ne l’interdit. En l’état, on ne pouvait reprocher à David qu’une certaine imprudence. À la fin de l’été 2012, le FBI semble donc ne pas vouloir insister. Mais c’était sans compter avec Fred Humphries ! Ce dernier, ulcéré de voir l’affaire se retourner contre lui, croit en outre que, pour des raisons politiques, on veut étouffer un scandale. Il fait donc intervenir ses relations, tant et si bien qu’on alerte le chef de la majorité à la chambre des Représentants, Eric Cantor. Celui-ci informe le directeur du FBI, Robert Mueller, qui rend compte sur-le-champ au directeur du renseignement national, James Clapper, qui coiffe la CIA. Ayant reçu le conseil de démissionner, le général obtempère. Le président Obama, après un temps d’hésitation, accepte la démission.
Ainsi pour une affaire secondaire ressortant du domaine privé, un personnage de la qualité de David Petraeus semble écarté d’une course au pouvoir présidentiel qu’il aurait pu mener à bien dans quatre ans étant donné son immense prestige. L’Amérique est-elle si riche en hommes d’État qu’elle puisse se séparer pour un motif aussi futile de l’un de ses meilleurs serviteurs ? On peut hélas en douter…
Régis Le Sommier se garde bien de poser la question. En journaliste consciencieux, il se contente de montrer qu’il n’y a pas eu de machination politique contre celui que ses soldats appelaient affectueusement « le roi David »(6). Raison de plus pour persuader le général Petraeus qu’il est de son devoir de revenir sur le devant de la scène ! S’il n’en est pas ainsi, une carrière politique soumise à de telles contraintes n’attirera plus que de dangereux ambitieux ou inconscients…
(1) David Petraeus, un beau jour dans la vallée du Tigre, Érick Bonnier éditions, octobre 2012. Recension parue dans la version électronique de la Revue Défense Nationale en novembre 2012.
(2) Il a déjoué presque seul, en décembre 2000, un attentat contre l’aéroport de Los Angeles.
(3) Policiers du FBI en charge de la cybercriminalité par recherches sur le net.
(4) L’affaire Petraeus…, p. 237.
(5) Ibidem, p. 238.
(6) Surnom à rapprocher de celui de « Roi Jean » donné en Indochine au général Jean de Lattre de Tassigny qui, lui aussi, était parvenu à redonner fierté et allant à un corps expéditionnaire désemparé.