En cette époque où les médiacrates, jour après jour, nous attristent, ce livre est un excellent antidépresseur. Dans un superbe préambule, et fort littéraire – « Longtemps, il y eut cette demande : raconte » –, deux des enfants du général expliquent qu’ils l’ont persuadé de l’écrire. Ils ont eu raison : cinq fois blessé, onze fois cité, Grand’ Croix de la Légion d’honneur, il avait beaucoup à dire.
L’ouvrage est fait de trois pièces qui s’enchevêtrent, un texte, des photos, des lettres à la mère. C’est que Lucien n’a pas eu de père déclaré. D’où a résulté, dans la rude Bretagne de ce temps, le rejet de celle qui « avait fauté » et qui dût, seule à Paris, louer ses services pour élever son bambin. Celui-ci fit ce qu’il devait, essaya des travaux publics, un peu de l’enseignement, et la guerre décida de l’avenir. Maquisard à Malestroit, il fut admis à Coëtquidan en 1946, était à Saumur l’année suivante, chez les paras de Meucon en 1948, d’où partaient vers l’Indochine les bataillons au béret rouge. Le sien est le 6°, avec lequel il débarqua en Annam à l’été 49. La campagne fut rude, la relation qu’il en fait est bien rafraîchissante. Point de grands sentiments, amour de la patrie ou idéologie à combattre. On est là entre copains, face à la mort, obligé à faire ce qu’il faut pour s’estimer soi-même. Ainsi va l’ascèse du soldat de métier. Revenu en 1951, il repart en juillet 52, au 6 toujours. Dès octobre, Tu-Lé, opération à haut risque magistralement menée, consacrera « le bataillon Bigeard ». Le bataillon saute à Dien Bien Phu le 16 mars 1954. Quinze jours plus tard la vraie bataille commence.
On ne saurait en trouver meilleur récit que celui qu’en fait Le Boudec, commandant de la compagnie indochinoise. L’idée de nos chefs n’était pas si mauvaise, de tendre un piège aux Viêts. Hélas ! La stratégie ne se juge qu’après coup. Notre tentative a échoué, ce dont le commandant de l’artillerie du camp retranché s’est tenu pour responsable. En attendant la fin, l’enfer se déchaîne et le 6 fait face. Disputant les « Éliane », Le Boudec sera quatre fois blessé. Sa dernière blessure le frappe à la fin de la bataille. Il est le dernier à être opéré à l’antenne chirurgicale. Quand il se réveille de l’anesthésie, il est seul, dans le silence du cessez-le-feu. Commence l’ultime épreuve, celle de la captivité, à laquelle 7 573 prisonniers – sur 10 863 – ne survivront pas. La marche des éclopés se termine au Camp n° 1. Tout a été dit, que l’on retrouve ici, sur le calvaire de ces malheureux. Sauf peut-être ceci : le mélange de vertu et de rigueur administrative dont ont fait preuve les Viêts, au moment, il est vrai, de libérer leurs prisonniers. Chacun d’eux se vit restituer les objets personnels, soigneusement étiquetés, qu’on lui avait confisqués, et jusqu’à sa menue monnaie. Quelques roublards réclamèrent plus que leur dû. Ils l’obtinrent.
A l’automne de 1954, le capitaine Le Boudec était à Paris. Un ancien combattant de 14 voit passer ce petit, rosette à la boutonnière. « Jeune homme, lui dit-il, on ne plaisante pas avec ces choses-là ».
Nous apprenons la disparition du général Le Boudec. Grand'Croix de nos deux ordres nationaux, les honneurs lui ont été rendus aux Invalides le lundi 26 août dernier. |