Dans ce brûlot Michael Parenti, docteur en science politique de la prestigieuse université de Yale, lance un défi à l'Histoire officielle. Son message est cinglant : les faits sont toujours écrits par les vainqueurs qui déforment et détruisent souvent les archives afin de perpétuer leur pouvoir et leurs privilèges. Qui plus est, les historiens sont influencés par leur milieu professionnel et leur classe sociale.
Ils ne sont donc pas objectifs. Ce constat pourrait se retourner contre cet essayiste provocateur dont le cœur, qui penche nettement à gauche, laisse paraître une phraséologie qui rappelle celle des intellectuels du mouvement communiste international au temps de l'Union soviétique. À titre d'exemples : « Aujourd'hui, des campagnes de droite tentent d'obtenir des manuels et des programmes scolaires, l'engagement d'une vision célébrant l'Histoire américaine, en mettant plus l'accent sur le patriotisme, le libre marché, les valeurs familiales, le créationnisme et d'autres vérités religieuses fondamentalistes ». « Les iconoclastes, les marxistes, et les révisionnistes restent une minorité, toujours vulnérable aux représailles politiques (…). Des professeurs de droite continuent à enseigner et restent à leurs postes de titulaires. Les conservateurs sont présents dans d'innombrables départements, et aucune université n'est entre les mains des gauchistes ». Rien de moins !
Dans ses diatribes, Michael Parenti lance une charge violente contre l’Église chrétienne responsable, selon ce polémiste, « de l'appauvrissement civique » qui s'est produit avant les invasions successives menées par « les Slaves, les Bulgares, les Magyars de l'Est, les pirates scandinaves du Nord et les Sarrasins », incursions qui « ont eu un effet perturbateur sérieux sur la société gréco-romaine et sur le commerce ». Cette répercussion dévastatrice « doit être portée au crédit de l'étroitesse d'esprit de l'orthodoxie chrétienne qui se dépensait sans compter pour s'assurer un contrôle monopolistique sur toutes les productions culturelles et intellectuelles ». Le raisonnement est simpliste. Sur cette thématique où l'attitude de l’Église catholique peut effectivement être critiquée dans l'épisode de l'Inquisition, le narrateur irascible conclut : « contrairement à ce que dit la sagesse conventionnelle nous devrions consacrer moins de temps à blâmer les barbares et plus d'efforts à scruter le rôle joué par le christianisme dans l'avènement d'une stagnation qui a duré pendant la plus grande partie d'un millénaire ». Fermez le ban ! La coupe est pleine !
La controverse sur l'assassinat du président Kennedy mérite un regard plus attentif. Sur cet événement tragique, l'auteur porte un jugement beaucoup plus serein, partagé par de nombreux spécialistes. Il cite le film JFK réalisé par Oliver Stone en 1991 : le cinéaste soutient la thèse d'une conspiration qui aurait impliqué la CIA, la mafia et les services de renseignement. Cet argument, aujourd'hui partagé par certains historiens, à valu à l'époque de la sortie du film « des tombereaux d'invectives ». Sur ce registre, la réponse de Michael Parenti mérite une considération certaine : « une mise à jour complète de la conspiration d'assassinat, qui pourrait impliquer la CIA ou la participation des renseignements militaires, jetterait le discrédit sur les institutions de la nation ».
Tout n'est donc pas négatif dans l'ouvrage polémique de Michael Parenti. En particulier, certains observateurs apprécieront le constat de la pensée dominante qui déprécie le monde de l'édition, notamment aux États-Unis : « En ce début de XXIe siècle, nous trouvons l'industrie de l'édition dominée par environ huit conglomérats médiatiques multimilliardaires en dollars. Ces géants ne sont pas célèbres pour leur soutien des auteurs progressistes, même ceux qui pourraient atteindre un large public. Ce fait est démontré par la difficulté que ces écrivains rencontrent pour trouver un éditeur grand public et la fréquence à laquelle ils doivent se tourner vers l'autopublication ou de petites maisons qui n'ont qu'un accès limité aux marchés et peu de ressources promotionnelles ». Cette remarque pourrait s'appliquer à d'autres pays dont la France.
Les commentateurs seront sensibles au chapitre consacré à ces historiens gentlemen au service d'une cour qui, pour conserver leur position avantageuse, arrangent les faits en faveur du prince, donc de leur « employeur ». C'est le syndrome Leopold von Ranke, du nom de cet historien du XIXe siècle « à qui la haine de la révolution populaire et la dévotion sans faille à l'absolutisme ont valu la faveur des monarques allemands », notamment Frédéric-Guillaume IV de Prusse qui l'a nommé « historiographe officiel de l’État prussien » en 1841. Les critiques seront également plus tolérant aux arguments présentés dans la partie consacrée à la classification des documents historiques, une politique qui a longtemps permis à l'administration américaine de dissimuler des vérités embarrassantes pour les pouvoirs en place.
Dans cette veine de secrets, on trouve les opérations controversées de la CIA au Guatemala, en Iran (renversement de Mossadegh), à Cuba, au Nicaragua, à Haïti et au Vietnam dans la deuxième moitié du XXe siècle, ainsi que l'ouverture de certaines archives soviétiques. Sur ce dernier point, Michael Parenti agite encore les braises de la provocation en soutenant « qu'une lecture plus attentive des documents provenant des archives soviétiques nouvellement ouvertes amène à conclure que la guerre froide n'était pas une simple affaire d'expansionnisme soviétique et de réaction américaine ; (…) les dirigeants soviétiques n'étaient pas axés sur la promotion de la révolution dans le monde entier (…), ils étaient plutôt préoccupés par la reconstruction de leur pays, le maintien de sa sécurité, et la protection de ses frontières immédiates ». Dans cette présentation insolite, l'auteur semble avoir oublié le prosélytisme permanent des dirigeants du Kremlin vantant les vertus du monde communiste, seules capables de triompher d'un capitalisme menaçant. L'écrivain a été désinformé par les caciques de Moscou, véritables orfèvres dans l'art de la manipulation.
Et c'est bien là que le bât blesse. Le livre de Michael Parenti met en lumière une problématique importante et contient des études dignes d'une grande attention. Mais l'intellectuel américain, prisonnier de son idéologie et de son goût immodéré pour la provocation, tombe bien souvent dans les marécages de l'outrance qui affaiblissent son capital de crédibilité. C'est au lecteur qu'il appartiendra d'apporter les nuances nécessaires à cet ouvrage mordant.