« Je ne suis pas sûr que Dieu ait fait l’homme à son image mais je sais qu’un grand chef forge la troupe à son image, par capillarité pourrait-on dire, par l’exemple, par le ton. Avec Cabiro, c’était le nec plus ultra ». Quel beau portrait trace ainsi Pierre Schœndœrffer du chef qu’il a accompagné en opération dans la région de Diên Biên Phu et dont il a admiré les « ordres clairs, laconiques, juste le nécessaire.
Pas un mot de trop. Quelle leçon ! ». Un grand merci à Olivier Cabiro de nous livrer l’intégralité des Mémoires de son père. Ce dernier, incontestablement, aurait pu reprendre l’expression de Napoléon : « Quel roman que ma vie ! ». Comment un jeune étudiant qui, à Paris, fait « vaguement du Droit et moniteur de gym à la petite semaine », va devenir « Le Cab », figure légendaire de la geste légionnaire ? En juin 1943 : les geôles espagnoles ; en avril 1961 : les geôles françaises. Entre les deux, de 20 ans à 38 ans, 18 années de guerre, 18 années de jeunesse.
Évadé de France, après un passage par l’Espagne bref mais riche en péripéties policières et sentimentales, il rejoint le Maroc en août 1943. Là, après quelques formalités, il lui faut choisir entre les Forces françaises libres et l’Armée d’Afrique. C’est elle qu’il rejoint dans les rangs du 8e Régiment de Tirailleurs marocains, à Meknès. Premiers pas dans la vie militaire et très vite le « Boujadi », le « Bleu », devient un tirailleur à part entière sous l’aile protectrice des vieux « Chibanis ». En novembre, c’est le débarquement à Naples puis les Abruzzes et le baptême du feu. À partir de là, c’est un tourbillon d’aventures qui emporte le lecteur derrière cette belle figure de soldat, de l’Italie à la France puis du Rhin au Danube. À l’issue, c’est l’École d’officiers, à Cherchell, à la sortie de laquelle, aspirant, il choisit la Légion. C’est là qu’il va très vite forger sa légende. Il se présente à Sidi-Bel-Abbès le 6 août 1945 et découvre un monde nouveau avec des traditions pour le moins originales qu’il va quitter très rapidement pour l’Extrême-Orient.
Adoré par ses légionnaires, qu’il mène avec une ferme bonté, il est de tous les coups durs en Indochine, d’abord avec le 2e REI (Régiment étranger d’infanterie), puis avec les paras-Légion, au 1er BEP (Bataillon étranger de parachutistes) avec lequel il rejoint Diên Biên Phu où il sera grièvement blessé et évacué sanitaire en mars 1954. Après une longue convalescence, un court passage au ministère de la Défense nationale et un aller-retour entre les FFA (Forces françaises en Allemagne), l’Algérie et les hôpitaux militaires, il rejoint la Légion en novembre 1958. Le chef de bataillon Cabiro est affecté au 2e REP comme commandant en second. Il y retrouve un univers et des hommes qu’il aime. Le rythme opérationnel reprend et alors qu’en 1959, les « Fells » sont mis hors de combat, que la guerre est gagnée sur le terrain, les espoirs suscités par l’arrivée du général de Gaulle s’évanouissent. L’année 1960 est l’année du doute : on parle de trahison, les officiers se demandent pour quoi continuent de mourir les légionnaires alors que l’abandon de l’Algérie se profile et le gaullisme du chef de corps crée des tensions au régiment. Aussi, c’est à l’insu de ce dernier que le 2e REP, conduit par ses capitaines rejoints par Cabiro, ralliera la révolte militaire d’Alger en avril 1961. Après l’échec du putsch, il est arrêté et mis aux arrêts au fort de l’Est où se trouve « le gratin des unités aéroportées ». De là, il est transféré à la Prison de la Santé et le 3 juillet, c’est le procès. Et le verdict tombe : prison avec sursis. Et le 2e REP, malgré les demandes de Darmuzai, ne sera pas dissous.
Le dernier chapitre, « La Croix et la Main », est particulièrement émouvant. 17 ans ont passé lorsque la Légion appelle le « Cab » pour lui offrir et lui remettre la plaque de grand-officier de la Légion d’honneur au 2e REP, à Calvi, lors du 30e anniversaire des paras de la Légion, en septembre 1978. Et il aura ensuite le suprême honneur de « porter la Main » au Camerone suivant, le 30 avril 1979. Moment d’émotion intense : « Ils sont tous là, près de moi, ceux de Cochinchine, du Cambodge, du Sud, du Centre, du Nord-Annam, du Tonkin et d’Algérie, mes frères du 2e REI, des BEP, des REP, toute la Légion des bons et des mauvais jours, des « dégagements » et des angoisses. Tous ceux qui nous ont été arrachés par la mort, tous ceux qui se sont tant battus et qui restent meurtris dans leur chair, dans leur cœur, tous ceux qui auraient pu perdre leur âme dans les camps viets ou les prisons françaises. Ils sont tous là, comme aux heures où je les ai connus. Je les retrouve, je ne vois plus qu’eux, j’ai la gorge sèche, les yeux embués. […] Pour tout cela, pour cet honneur suprême et cette immense joie, merci la Légion. Adieu, ma chère Légion ». C’est sur cette dernière phrase que s’achèvent les Mémoires du commandant Cabiro. Une vie passionnante, écrite dans un style concis et très vivant, avec de courts chapitres remplis d’anecdotes où se mêlent humour, réalisme et émotion. Un beau livre de guerre, une belle vie de soldat, un livre vrai, un livre d’Homme qui est une leçon de courage, de gaieté, d’Honneur et de Fidélité…