On ne peut qu’être dubitatif en refermant le bref opuscule de Simon Kruk et Catherine Kaminsky, qui s’étaient fait connaître dans les années 1980 en publiant aux Presses Universitaires de France une rafale d’ouvrages abordant la géopolitique du Moyen-Orient.
Aujourd’hui, on ne sait si leur essai israélo-centré cherche à surfer sur la vague des insurrections arabes ou bien vise à commémorer à leur manière le 40e anniversaire du déclenchement de la guerre du Kippour, en réglant quelques comptes au passage, notamment à l’encontre de Henry Kissinger et de la direction israélienne travailliste de l’époque.
Manifestement, c’est cette seconde hypothèse qui semble l’emporter, comme en témoigne l’absence de toute source arabe et de tout ouvrage traitant du « Printemps arabe » dans une bibliographie sommaire qui semble se clore au début des années 2000 et qui ignore les principaux ouvrages de référence qui sont venus depuis éclairer la compréhension de la guerre d’octobre 1973, tout particulièrement celui de Marius Schattner et Frédérique Schillo (La guerre du Kippour n’aura pas lieu, André Versaille éditeur, 2013, 320 p). C’est d’autant plus étonnant que les auteurs ne manquent pas d’évoquer certaines de ces découvertes, notamment le rôle de l’espion égyptien Ashraf Marwan au profit du Mossad ou bien encore les tentatives de négociations secrètes entre Anouar el Sadate, Moshé Dayan et Golda Meir. Ils semblent séduits à plusieurs reprises par la théorie du complot, comme lorsqu’ils affirment que les Soviétiques ont prévenu la Maison-Blanche de l’imminence de l’offensive arabe, sans citer la moindre source convaincante pour étayer leur propos (p. 14).
L’analyse souvent binaire débouche sur une série de postulats contestables, à commencer par le lien « manifeste » entre les conséquences de la guerre du Kippour et les transformations du monde arabe d’aujourd’hui. Pour les auteurs, c’est après cette guerre que le Moyen-Orient aurait basculé et commencé son processus de changement qui se caractériserait selon eux par la démocratisation de la société arabe d’un côté et par l’islamisation des institutions de l’autre. La conséquence directe en serait la perte de centralité de la question palestinienne. Autre postulat fragile, celui selon lequel les insurrections arabes ont marqué la fin de l’ère Sykes-Picot au Proche-Orient. Si l’affirmation paraît à la mode, force est de constater que les plus récents développements en Syrie, au Liban et en Irak paraissent prouver le contraire. Pour être juste, il convient de reconnaître que les auteurs ont dressé un tableau convainquant des nouveaux équilibres géopolitiques issus des révoltes arabes (p. 59 et 66-71, 81-84), de même qu’ils démontrent que ce processus aboutit à la fragilisation des minorités.
La thèse centrale de Simon Kruk et Catherine Kaminsky tient au final en quatre points : les Occidentaux se sont fourvoyés en tentant d’instrumentaliser l’Islam (notamment en finançant et en armant des mouvements islamiques radicaux) ; la stratégie des néoconservateurs, initiée au début des années 1990, a porté ses fruits ; la croissance des classes moyennes arabes devrait favoriser l’émergence d’institutions démocratiques et contraindre les partis islamiques à adopter un comportement politique compatible avec les nouvelles règles ; ce « réveil démocratique » permettra aux populations sunnites de faire cause commune avec les Israéliens et les Palestiniens pour tenir à distance l’impérialisme chiite iranien, véritable adversaire – selon eux – du processus de stabilisation du Moyen-Orient. À voir la cohérence de la politique iranienne et la confusion qui règne au sein des pétromonarchies sunnites, il est permis sérieusement d’en douter.